Il est la preuve qu’un artiste peut se transformer au fil du temps. Après 13 ans de carrière, Julien Doré change de cap. Un dandy rock folk réputé pour chanter amour et légèreté, qui désormais a des choses à dire et compte bien le faire savoir. Un nouveau souffle, fil conducteur de son cinquième opus « Aimée » fraîchement sorti. Chronique musical d’un disque conscient voire alarmiste mais pas moins berçant.

Julien Doré - Aimée - Barracuda

Nouvelle ère pour un nouvel état d’esprit

« Le Monde a changé » et lui aussi, avertissait déjà Julien Doré en juillet dernier au sein de son nouveau single « La fièvre ». Un hit engagé et préventif fait pour sensibiliser au réchauffement climatique. Une noble cause défendue par l’artiste transformé en fervent défenseur de la planète. Une prise de conscience survenue il y a deux ans lors de son installation dans les Cevennes. Une vie paisible, loin de toute frénésie, et un retour à la terre revigorant qui l’a totalement inspiré. Une communion avec la nature, où le chanteur a pris le temps de vivre, renouant au passage avec des choses simples comme le jardinage ou le bricolage. L’occasion aussi de faire éclore de nouveaux textes, dans son studio fait-maison installé dans une cave de sa demeure. Un cocon loin de tout, idéal pour créer et changer son fusil d’épaule. Désormais l’interprète de « Coco câline » se mue en militant des temps modernes. Un geste fort, comme pour perpétuer l’engagement de sa famille. À l’image de sa grand-mère Aimée, dont il s’est inspiré pour baptisé son disque. Une vétérante âgée de 99 ans, ex-partisane cégétiste historique. Une femme combative, devenue veuve à l’âge de 40 ans qui n’a rien lâché pour élever ses deux filles tout en s’investissant dans des batailles pour les droits des veuves de mineur et protection des femmes battues. Une virulence à toutes épreuves, capitale et symbolique pour Julien Doré, oeuvrant à son tour du haut de ses 38 ans avec la volonté de transmettre ses propres valeurs.

Julien Doré - Aimée - La fièvre

La Terre, sa bataille

Une transformation qui se confirme à l’écoute de « Barracuda I » deuxième hymne sur le dérèglement environnemental. « Tout l’monde a quelque chose à dire, Sur mes cheveux ou le climat, Bien que les deux aillent vers le pire, Personne ne se battra pour » débute avec pessimisme et auto-dérision Julien Doré. Sonnant l’alerte tout en réglant ses comptes avec ses détracteurs, chose qu’il a l’habitude de faire avec humour sur les réseaux sociaux.
Un artiste un poil désabusé, qui compte sur la nouvelle génération qu’il laisse s’exprimer dans les choeurs, pour inverser la tendance. « Tout est encore possible » scande-t-il également sur « Barracuda II » version épurée du morceau en piano/voix.
Une descendance à qui il s’adresse dans « Kiki ». « T’auras ton style, Comme Kylian Mbappé » s’adresse-t-il plein d’espoir. Un ton décalé, destiné à ce petit être qu’il aura peut-être un jour. Un mini-lui à qui il souhaite transmettre des valeurs, mais dans un futur hélas incertain et morose. « J’ai dessiné ta tombe, Avant de te bercer » regrette-t-il avec audace.
Un homme pour le moment sans enfant, mais qui peut compter sur ses deux fidèles compagnons, Simon et Jean-Marc. Deux bergers blancs dont il ne se sépare jamais, à qui il donne même la parole au sein du vaporeux et surprenant « Waf » à la tendance écolo, parsemé d’aboiements.
Autre trio, autre ambiance en compagnie de Caballero & JeanJass. Des rappeurs belges avec qui Julien Doré a décidé de s’associer pour une alerte climat collégiale sur l’énergique « Bla-Bla-Bla ». Des talents qui ont marqué la star grâce à leur clip «Dégueulasse » mettant en scène des réfugiés.
Un fléau sociétal que met en lumière le chanteur dans « Lampedusa ». Un titre lourd de sens, faisant référence à l’île italienne sur laquelle échoue des milliers de réfugiés dans l’indifférence générale. La voix d’un peuple qui grâce à l’artiste se fait entendre.

Julien Doré - Aimée - La fièvre

Pessimiste mais pas désabusé

Autre invité de première marque, Clara Luciani offrant là au public la douce pépite qu’est «L’île au lendemain ». Une ballade berçante et mélancolique, portée par la voix envoutante de la chanteuse faisant preuve d’une puissance surprenante. Un duo langoureux, fait pour adoucir les mœurs et dédramatiser.
Car oui, dans « Aimée », Julien Doré oscille entre pessimisme et espérances. Sans juger ni culpabiliser qui que ce soit, il garde malgré tout de sa fidèle candeur. Un original qui même privé de certaines illusions n’en garde pas moins son style.
Un joyeux ironique laissant filer son humour au son du décalé « La bise » s’amusant d’un fail amoureux.
Une légèreté qui se poursuit au sein de la ballade sentimentale « Nous » prônant l’insouciance et la liberté.
Et que dire de la belle ballade qu’est « Ami ». Une déclaration non pas amoureuse mais amicale, à tous ces êtres disparus de nos vies, et un clin d’oeil au regretté Christophe qui lui a inspiré cette chanson percutante.

En bref, avec « Aimée », Julien Doré prouve là son tournant artistique. Un chanteur plus engagé, mais pas moins sentimental, avançant sans prise de tête avec subtilité. Conservant malgré tout sa marque de fabric’ faite de jeux de mots et humour décalée.

Coups de coeur : Barracuda I / La bise / L’île au lendemain

DROUIN ALICIA