C’est l’histoire d’une jeune femme qui tombe follement amoureuse d’un écrivain mondain. Au fil des jours, des mois et des années, elle le guette, l’observe, le désire, puis elle finit par s’offrir, corps et âme, à cet inconnu. Malgré l’étreinte de quelques nuits, malgré la naissance d’un enfant, l’homme poursuit sereinement son chemin, sans même se rendre compte que la demoiselle est enceinte ou qu’elle existe encore. Afin de sortir de l’ombre et d’être « reconnue » par cet amant frivole qu’elle idolâtre, la belle va alors se lancer dans une ultime déclaration, quitte à disparaitre définitivement…
Comment sortir de l’emprise d’un amour passionnel ?
Tristesse d’un amour unilatéral
La pièce s’ouvre sur un cri dans l’obscurité. Assise à côté d’un berceau, une jeune femme veille douloureusement son fils mort. Le visage creux et la gorge sèche, elle personnifie à elle seule la souffrance indicible d’une mère qui vient de perdre son enfant. Prise entre le désespoir et la folie, elle laisse son esprit vagabonder dans le passé et commence à nous raconter l’histoire de son seul et unique amour.
Son récit est aussi beau que tragique car la demoiselle a dévoué toute son existence à un homme, un écrivain, qui l’a, hélas, à peine aperçue : de son adolescence pudique à sa vie de femme galante, elle nous décrit l’effervescence de ses émois, la candeur de ses attentes et la tristesse de sa réalité.
De la jeune fille espiègle à la mère dévastée, Betty Pelissou offre aux spectateurs une vaste palette d’émotions
Zweig et l’autopsie des passions
Dans ce très beau texte publié en 1922, l’écriture de Stefan Zweig est aussi fiévreuse qu’analytique. Observateur des sentiments humains, il brode son récit comme une autopsie cruelle des passions et de la dépendance amoureuse. Sa protagoniste – qui ne porte pas de nom – aime un homme de façon si inconditionnelle qu’elle va entièrement se consumer. À mi-chemin entre la dévotion et la haine, le discours qu’elle mène est non seulement un constat sur sa névrose amoureuse mais aussi un cri d’angoisse face à un amant qui n’a jamais pu deviner la profondeur de ses émotions.
La comédienne évolue sur une scène jonchée de lettres et de chandelles vacillantes. Grace à cette mise en scène subtile signée William Mesguich, le spectateur entre délicatement dans l’écriture de Zweig et de son inconnue.
Betty Pelissou, une comédienne éclatante de sensibilité
C’est avec une grande justesse et beaucoup de générosité que Betty Pelissou donne vie à l’inconnue de Zweig. Seule sur une scène jonchée de lettres et de chandelles vacillantes, la comédienne nous entraine dans le labyrinthe cérébral de sa protagoniste. Changeant d’humeur, de rythme et de visage, elle passe de la jeune fille espiègle à la mère dévastée en nous offrant une vaste palette de sentiments : tour à tour candide, heureuse, jalouse, résignée ou aigrie, elle entraine crescendo son public dans le cheminement de son personnage vers la démence. Criant ou chuchotant, elle fait apparaitre au final une femme dévastée dont l’obsession et le fanatisme amoureux nous attristent autant qu’ils nous effraient.
Tour à tour candide, heureuse, jalouse ou résignée, Betty Pelissou entraine crescendo son public dans la démence de son personnage
Interview exclusive de Betty Pelissou
Florence Gopikian Yérémian : Pourquoi avez-vous choisi d’interpréter cette œuvre de Stefan Zweig ?
Betty Pelissou : Je l’ai découverte par hasard et une fois adaptée, j’ai demandé à William Mesguich s’il voulait bien la mettre en scène persuadée qu’il allait dire non parce qu’on se connaissait très peu à l’époque. Il a dit oui ! C’est assez amusant car au fil de nos parcours, on s’est très souvent retrouvés à jouer les mêmes textes dans des productions différentes. Il y a très longtemps, quand je ne le connaissais pas du tout, je lui avais envoyé un petit message en lui disant « Il faut arrêter William : vous n’arriverez pas à me faire de l’ombre ». Suite à cela, on s’est rencontrés et je pense qu’aujourd’hui avec cette pièce commune, nous sommes devenus très complices.
Comment avez-vous travaillé le rôle de cette femme détruite par sa passion ? Sa soumission amoureuse à l’égard d’un homme qui ne la reconnait même pas est effarante pour notre époque !
Effectivement. La première question que l’on s’est posée avec William Mesguich était de savoir comment on pouvait rendre cette femme intelligible et intéressante en 2024. Je pense qu’aujourd’hui on est plus difficilement touché par un amour à sens unique qu’au début du siècle dernier. Ce genre de femme qui se soumet entièrement à un être qui ne la remarque pas est assez rare de nos jours. Donc, pour la rendre plausible et attachante, j’ai insisté sur sa folie en montrant qu’elle était très solitaire dès son plus jeune âge. Cette aspect, proche de la démence, a rendu le texte de Zweig beaucoup plus concevable.
La démence de votre personnage ne se détecte pas en début de pièce, elle monte crescendo et s’impose avec évidence. Vous êtes-vous inspirée d’œuvres ou de certains personnages littéraires pour atteindre cette interprétation de la folie ?
Pas spécialement, par contre beaucoup de spectateurs sont venu me dire que je leur fais penser à Kathy Bates dans Misery ! C’est difficile d’avoir un plus beau compliment pour une comédienne et ça me touche énormément.
Avez-vous une autre actualité parisienne en attendant l’été ?
Je mets en scène Antigone de Sophocle avec la Compagnie Poqueline. C’est à la Folie Théâtre jusqu’au 21 avril et les comédiens sont juste incroyables !
Eurydice aime Orphée – Orphée aime Eurydice. Qui ne connait cette tragédie amoureuse issue d’un des plus grands mythes de la Grèce antique ? Mais avez-vous déjà gouté à la version revisitée de Jean Anouilh ? Elle vous attend avec ses délicieux questionnements existentiels au Théâtre du Lucernaire.
Gaspard Cuillé et Bérénice Boccara font preuve d’une très belle complicité dans leur interprétation d’Orphée et Eurydice.
Une quête d’amour idéal
Bien loin des déesses et des dieux de l’Olympe, Anouilh a choisi d’inscrire sa pièce au XXe siècle dans le sud de la France. Autre lieu, autre ambiance, mais l’histoire se répète : c’est donc sur un quai de gare ensoleillé que se rencontrent cette fois Orphée et Eurydice. Elle, est comédienne, lui est violoniste. Les deux jeunes gens ne se connaissent pas mais, au premier regard, le coup de foudre a lieu.
De cette étincelle inattendue vont soudainement naître d’immenses sourires, des baisers frissonnants, des rêves sans fin et de belles promesses. Après une douce nuit d’ébats, la jalousie va cependant se profiler et avec elle, l’insupportable réalité d’un amour immaculé qui vient d’être souillé, celle d’un amour banal qui commence à se dessiner, semblable à tous ceux qui animent l’espèce humaine.
Le Grand Amour est-il donc systématiquement condamné à sombrer dans un quotidien insipide ponctué de solitude et d’infidélités ? N’y a-t-il vraiment aucun moyen de faire perdurer au sein d’un couple la beauté initiale et la pureté d’une idylle naissante ?
Face à un tel constat, la mort semble être, hélas, la seule issue pour nos amants maudits…
L’étrange Monsieur Henri (Benjamin Romieux) rode autour d’Orphée (Gaspard Cuillé) pour le guider vers sa destinée
7 comédiens au service d’Anouilh
C’est avec beaucoup d’émotion que les sept comédiens de ce spectacle réactualisent le mythe antique. Grace à la mise en scène sobre d’Emmanuel Gaury qui mise sur un plateau nu, toute l’attention des spectateurs est portée sur le jeu des acteurs et la langue d’Anouilh.
Gaspard Cuillé (Orphée) et Bérénice Boccara (Eurydice) sont tous deux issus des cours Cochet.
Dans le rôle complexe d’Eurydice, la jeune Bérénice Boccara parvient à alterner les phases de doute, de folie douce et de bonheur suprême. La bouche ourlée mais le geste sage, elle transmet à son personnage une sensualité pudique qui tient à la fois de la femme et de l’enfant.
Face à elle, Gaspard Cuillé prête ses traits affables et candides à Orphée. Le regard tendre et la mise charmante, il véhicule graduellement l’heureuse insouciance du soupirant, l’affliction de l’amant solitaire, puis la volonté de l’homme endeuillé désireux de rejoindre sa dulcinée par-delà la mort.
En aval de ces amants maudits, la présence de leurs parents respectifs apporte beaucoup de fraicheur à la pièce :
Perchée sur ses chaussures à pois et le col enveloppé d’hermine blanche, la comédienne Corinne Zarzavatdjian incarne avec pétulance la mère d’Eurydice. Jacassante comme une pie et chapeautée comme une diva, elle gesticule, sirote avec dédain son peppermint, joue énergiquement de son éventail et s’amuse à aguicher avec espièglerie son amant bedonnant (Jérôme Godgrand qui joue aussi bien les « gros chats » ronronnants que les crapules).
Orphée et son vieux père (Patrick Bethbeder, savoureux)
Dans un registre diamétralement opposé, Patrick Bethbeder confère au père d’Orphée une extrême bonhomie ponctuée d’un bel humour. L’œil doux, la voix chantante et le ronflement bruyant, il semble vivre dans une bulle d’optimisme où seule sa panse et ses sous n’ont d’intérêt.
Le talentueux comédien Victor O’byrne prête son panache à tous les personnages secondaires de la pièce
Comme dans toutes les pièces d’Anouilh, les personnages secondaires sont nombreux. Qu’il s’agisse du garçon d’hôtel, du garçon de café, du gendarme ou du premier amant d’Eurydice, tous sont interprétés avec brio par l’excellent Victor O’byrne. Grace à son panache et sa très large palette d’expressions, ce jeune comédien sait changer de visage en un instant et avive la scène de son effervescence.
Benjamin Romieux personnifie le destin avec beaucoup de flegme et de finesse
Le mythe d’Orphée ne saurait-être complet sans la figure de la mort ou plutôt, celle du destin… Elle revient à Benjamin Romieux qui revêt le rôle du mystérieux Monsieur Henri. Avec son nez aquilin, son teint diaphane et son phrasé inquiétant, son personnage semble tout droit sorti d’un film de Cocteau. Et que dire de ses yeux froids et glaçants qui projettent un ailleurs sombre et dénué de toute émotion ? Monsieur Henri apparait, Monsieur Henri disparait, il se faufile sinueusement entre les lignes de vie de chacun, et décide ou pas d’entrainer ses proies sur le chemin du Royaume d’Hadès…
Surréalisme et poésie
Tout semble à la fois absurde et poétique dans cette aventure : la rencontre si soudaine des deux héros, l’exacerbation de leurs sentiments, la jalousie qui surgit en un instant, et même la mort qui fauche à tout va.
Orphée et Eurydice veulent s’aimer au-delà de la médiocrité, du mensonge et de la routine qui détruisent tant de couples.
Surréalistes également sont les répliques d’Anouilh qui fait converser si lucidement deux âmes angoissées en quête d’idéal. Aussi étranges soient-ils dans la maitrise de leurs émois, Orphée et Eurydice sont touchants, aériens et presque irréels, tout comme leur vision de l’amour : égarés dans leur quête de pureté et de beauté, ces tourtereaux veulent s’aimer au-delà de la médiocrité, au-delà de la triste routine et du mensonge qui détruisent tant de couples.
Le désir de ces protagonistes peut sembler illusoire et enfantin, mais qui sur cette terre oserait dire qu’il n’aspire au Grand Amour ?
Sous ses airs de romance candide, la réflexion d’Anouilh est bien plus profonde qu’elle n’y parait : si la fidélité nous est impossible, si la jalousie nous dévore, si le quotidien nous use, si la lassitude s’instaure, alors comment croire en l’amour ? Comment croire même à la possibilité d’être heureux ?
L’auteur nous le dit clairement : « L’Amour est lâche et difficile », mais faut-il donc cesser de vivre ou d’aimer si aucun espoir n’est permis ? Sans aller jusqu’au choix de la mort pour contrecarrer nos tristes destins, ne peut-on se dire qu’aimer c’est adorer, encenser, partager, rire mais aussi lutter, souffrir et avoir peur ?
Et oui, c’est tout cela qui fait la beauté d’une existence. N’ayons pas peur de l’amour !
Avec Bérénice Boccara (ou Lou Lefèvre), Gaspard Cuillé, Benjamin Romieux, Corinne Zarzavatdjian, Jérôme Godgrand, Patrick Bethbeder, Victor o’byrne (ou Maxime Bentégeat ou Pierre Sorais)
Musique : Mathieu Rannou Lumières : Dan Imbert Costumes : Guenièvre Lafarge
Lucernaire 53, rue Notre-Dame des Champs – Paris 6 Réservations : 0145445734
Jusqu’au 5 mai 2024 Du mardi au samedi à 18h30 Le dimanche à 15h
Si vous aimez l’univers précieux et spirituel des Liaisons Dangereuses, sachez que Merteuil est de retour. À travers une pièce à deux voix, la comédienne Marjorie Frantz vient, en effet, de la ressusciter : à la fois auteure et interprète, elle nous livre la suite des aventures de cette marquise déchue qui se retrouve confrontée aux fantômes du passé…
Dans la continuité des écrits de Choderlos de Laclos, Marjorie Frantz a conçu un dialogue succulent où deux des personnages des Liaisons vont se retrouver quinze ans après la mort de Valmont. À travers une écriture châtiée et engagée, ce nouveau texte, qui prend place après la Révolution, porte un questionnement pertinent sur la place de la femme au XVIIIe siècle et trouve un étonnant écho au sein même de notre époque.
SYMA News a rencontré Marjorie Frantz qui nous en dit d’avantage quant à sa plume et ses intentions.
Quinze ans après la mort de Valmont, la charmante Cécile de Volanges ose enfin tenir tête à la machiavélique Marquise de Merteuil. Et si les rôles finissaient par s’inverser ?
Rencontre avec Marjorie Frantz
Florence Gopikian Yérémian: Qu’est-ce qui vous a donné envie d’offrir une suite aux Liaisons dangereuses ?
Marjorie Frantz, auteur et interprète
Marjorie Frantz : La Marquise de Merteuil. Son mélange d’intelligence, de mauvaise foi, de charme et de dangerosité en font un personnage on ne peut plus inspirant.
Diriez-vous que vous proposez une relecture féministe de l’œuvre de Laclos ? En effet, bien que vos deux protagonistes – Mme de Merteuil & Cécile de Volanges – soient rivales, elle sont toutes deux en quête d’émancipation et se rejoignent face au patriarcat et à la misogynie qui les entourent.
Je ne me permettrais pas de proposer une relecture de Laclos. Mon texte est plutôt une digression, une suite possible d’évolution des personnages. Qu’il s’agisse de Mme de Merteuil ou de Cécile, elles ont chacune souffert en tant que femmes mais n’ont pas réagi de la même manière. Les deux sont victimes mais elles se battent avec des armes différentes pour tenter de traverser une période de l’histoire où la Révolution Française a certes fait avancer beaucoup de choses mais pas assez vis-à-vis du regard porté sur la condition des femmes.
Selon vous, Merteuil est-elle une « féministe » avant l’heure ou éprouve-t-elle seulement une haine et un besoin de domination à l’égard de ses semblables ? Lorsqu’elle s’adresse à Cécile, elle dit tout de même « Je suis née pour venger mon sexe et maîtriser le vôtre ».
La marquise est pour moi un animal blessé. Brillamment lucide et intelligente dès son plus jeune âge mais vraisemblablement violée en pleine adolescence par un mari bien plus âgé, elle a décidé qu’on ne lui ravirait ni sa liberté de penser ni celle de jouir comme elle l’entend de la vie et des autres. N’oublions pas que « libertinage » vient du mot « liberté ».
Votre cœur penche-t-il d’avantage vers les aspirations de Cécile ou vers celles de Mme de Merteuil ?
Lorsque j’ai écrit ce texte, mon idée n’était pas de donner une morale à l’histoire mais de laisser les spectateurs alterner entre les arguments de la marquise et la douleur de Cécile. Il y a du vrai dans chacune d’elle, de la violence, de la rancune et du plaisir à faire entendre ses valeurs. Comme dans la vie, les principes sont mis en balance lorsque le cœur s’en mêle et je voulais que le public éprouve de l’empathie autant pour l’une que pour l’autre.
Chloé Berthier (Cécile de Volanges) et Marjorie Frantz (La Marquise de Merteuil) nous offrent une très belle joute oratoire dans l’esprit de Laclos.
Votre réflexion subtile sur la place des femmes au siècle des lumières a-t-elle pour intention d’éveiller les esprits quant au statut du beau-sexe à notre époque ?
Je n’ai voulu qu’exprimer le ressenti de femmes qui, à cette époque, quoique préservées et nanties, devaient s’ennuyer à mourrir une fois le tour du parc fait ou leur broderie achevée. L’oppression de la société du XVIIIe et de la bonne morale les cantonnaient dans un rôle qui devait être étouffant au regard de nos codes actuels. Je fais dire à Merteuil “ Je ne suis pas perverse, je suis désobéissante” , c’est une manière concise de montrer qu’à l’époque, si l’on n’était pas dans les codes de la bienséance, cela relevait du vice. Les femmes n’avaient donc pas vraiment le choix et Merteuil a utilisé avec habilité ces codes pour s’en moquer. Sa plus grande erreur a été d’oublier qu’elle avait un cœur et qu’à trop longtemps jouer, on perd la partie.
D’où votre précieuse plume puise-t-elle son inspiration ? D’autres ouvrages à part celui de Choderlos de Laclos, ont-ils abreuvé votre imagination ?
Pour écrire cette pièce, je me suis beaucoup documentée. J’ai évidement lu Les liaisons dangereuses une bonne dizaine de fois mais aussi “Le traité des femmes” de Laclos, « La déclaration des droits de la femme » d’Olympe de Gouges, ainsi que beaucoup d’ouvrages du XVIIIe siècle qui représente à mes yeux le moment le plus flamboyant de la littérature française. Je me suis attelée également à écrire une adaptation d’un texte d’Edmond Rostand. C’est une gymnastique de l’esprit à laquelle j’ai pris goût et qui oblige à passer du stylo à la plume, de façon métaphorique bien sûr!
Comment s’est fait le choix de la comédienne Chloé Berthier qui interprète Cécile de Volanges ?
Chloé Berthier prête son visage angélique et sa détermination au personnage de Cécile de Volanges.
Chloé Berthier est une comédienne formidable et une personne avec qui j’avais eu grand plaisir à travailler auparavant. Je ne voulais pas d’un duel scénique trop déséquilibré. Il ne fallait pas une jeune femme trop fragile face au personnage de Merteuil sinon le jeu aurait été faussé. Qu’elle soit blonde et fraîche, oui, mais avec du tempérament. Qu’on sente que la cocotte boue et qu’elle ne va pas se laisser faire tout en gardant la fébrilité d’une femme qui a devant elle ce qu’elle considère comme son bourreau. Je trouve que Chloé dégage à merveille tous ces facettes.
Vous avez confié la mise en scène à la talentueuse Salomé Villiers ?
Après “La Grande Musique”, Salome Villiers signe la mise en scène de “Merteuil”. Également comédienne, elle a obtenu le Molière 2023 de la Révélation Féminine (Photo: Natacha Lamblin)
Je suis le travail de Salomé depuis ses débuts. Nos parents étaient amis et nous nous connaissons depuis toujours. Lorsque je lui ai fait lire la première ébauche du texte pour avoir son avis, elle m’a tout de suite dit : « Je prends ! » Elle semblait convaincue que Merteuil était un personnage qui m’irait bien, nous avions déjà évoqué l’idée de monter ensemble Les liaisons dangereuses mais le timing ne s’y prêtait pas. L’idée de travailler avec elle m’a immédiatement séduite car nous partageons ce même goût pour le spectacle vivant et je savais que sa bienveillance et son énergie seraient mises au service de mon texte. N’oubliez pas que c’est mon premier texte mis en scène, j’avais besoin d’être en confiance et de m’entourer de douceur pour faire le grand saut. Salomé remplit toutes ces qualités à mes yeux.
Aurons-nous le loisir de lire un jour « Les brèves mémoires de Madame de Tourvel » signées de votre main ? L’espace d’une nouvelle pièce, vous pourriez redonner vie aux dernières pensées de cette malheureuse morte au couvent sous l’emprise de Valmont.
Les mémoires de Madame de Tourvel tourneraient vite court, il me semble. Ne dit-elle pas « Comment ai-je pu être aussi naïve! »…
“Lorsqu’une femme en combat une autre, l’issue est souvent fatale…”
D’un point de vue cinématographique, quelle adaptation du livre de Laclos vous a le plus séduite : « Valmont » de Milos Forman ou « Les liaisons dangereuses » de Stephen Frears ?
Sans aucune hésitation ” Valmont ” ! Je sais bien que la référence est le film de Frears dans lequel John Malkovich interprète un Valmont redoutable. Je trouve cependant qu’Anette Bening incarne une marquise qui redouble de charme et de malice dans la version de Milos Forman. Il n’y a que Colin Firth qui ne soit pas très crédible en manipulateur pervers. Meg Tilly y campe une présidente de Tourvel bouleversante, quand à la petite Cécile (Fairuza Balk), c’est à elle que j’ai pensé en écrivant cette suite. Elle possède à la fois la candeur de l’enfance et l’appétit de l’adolescence. Je trouve que le film de Forman est un chef-d’œuvre méconnu tant il a été éclipsé par la version de Frears qui est sortie juste avant. On y voit l’ennui dans lequel s’enlise une société qui ne se soucie que de passer du bon temps sans se méfier de la révolution qui approche. Bien sûr Glenn Close y est magistrale dans la version de Frears mais finalement je trouve que dès le générique on comprend la dureté des personnages de Valmont et Merteuil et au delà de l’esthétique parfaite du film, je le trouve un peu froid.
Musique : Adrien Biry Vicente
Costumes : Peggy Sturm et Jérome Pauwels
Lumière : Denis Koransky
Production exécutive : Jerome Réveillère
Production : Prismo Production
Coproduction : les Scaldes et Louis d’Or production
Partenaires : Teva
Jusqu’à fin août, l’excellente Sylvie Dorliat porte à la scène les amours impossibles d’Hervé Joncour. À travers ce très beau texte d’Alessandro Baricco, la comédienne tisse un récit voluptueux et mélancolique qui nous transporte aux confins du Japon.
Les amours fantasmées d’Herve Joncour
L’histoire débute en France dans les années 1860. Hervé Joncour est un homme tranquille et besogneux qui achète et vend des vers à soie. Depuis son village dans le midi, il mène une vie paisible et prospère jusqu’au jour où son travail l’entraîne au pays du Soleil-Levant.
Du haut de ses 32 ans, Hervé Joncour croise alors le regard d’une inconnue qui va l’embarquer dans un monde de fantasmes et d’illusions...
Une mise en scène raffinée signée William Mesguich
La mise en scène sobre et minimaliste de William Mesguich s’accorde parfaitement avec la délicatesse de la pièce. Au cœur d’une lumière douce et tamisée se distinguent des chants d’oiseaux, de splendides kimonos, quelques notes de musique et un globe terrestre autour duquel lévitent les 3 figures féminines de l’histoire : il y a Hélène l’épouse aimante et dévouée, Madame Blanche la mystérieuse maquerelle et, enfin, cette si belle inconnue qui devient progressivement l’objet de toutes les convoitises d’Hervé Joncour.
Sylvie Dorliat : une conteuse-née
Sylvie Dorliat
C’est à Sylvie Dorliat que revient la narration de ce très beau récit qui invite chacun d’entre nous à saisir le bonheur lorsqu’il se présente. La voix grave et teintée d’une somptueuse résonance, cette conteuse-née nous happe et nous envoute tout au long de son monologue. Debout, face au public et parée d’une élégante tunique, Sylvie Dorliat tisse lentement son histoire et plonge l’ensemble des spectateurs dans un cocon aux effluves de mûrier: avec sa diction aussi précise que tempérée, elle fait apparaître tous les personnages de ce conte raffiné et parvient à instaurer une atmosphère soyeuse teintée d’une nostalgie qui se diffuse dans toute la salle.
Il faut dire que la prose d’Alessandro Baricco est un vrai régal : sensuelle et itinérante, elle dessine des lieux, suscite mille émotions, éveillent nos sens et nous fait voyager sinueusement de la France au Japon en passant par la Bavière ou le lac Baïkal.
Soie? Un voyage exquis et poétique qui se déroule une heure durant comme un précieux kakemono
Boule de suif : un regard allègre et incisif sur l’hypocrisie de l’âme humaine
À travers ce beau récital, André Salzet nous transporte durant l’occupation prussienne de 1870 et nous invite à prendre place au sein d’une drôle de diligence fuyant Rouen.
Dans cette voiture exiguë en partance pour Le Havre, une dizaine de personnes se font face issues de toutes les catégories sociales: on peut y voir un marchand et sa femme, des bourgeois, un officier, deux religieuses, un comte et une comtesse, un révolutionnaire et enfin, Boule de Suif, une prostitué renommée.
Fraîche et appétissante, cette galante est l’objet de toutes les envies et de toutes les médisances : ces messieurs reluquent ses appâts en feignant de la blâmer tandis que ces dames la toisent de biais, pétries de jalousie et de fausses pudeurs.
Faisant fi des ragots et des regards, Boule de Suif accepte néanmoins de partager avec eux sa conversation et même ses provisions sans savoir qu’à la prochaine halte, ces misérables voyageurs lui demanderont de s’offrir toute entière à l’ennemi pour sauver leurs vies…
.
André Salzet nous livre la plume de Maupassant avec autant d’entrain que de délectation.
Tirée d’une nouvelle de Maupassant ce court récit est un petit bijou de littérature. Écrit avec finesse et exactitude, il porte un merveilleux regard sur l’hypocrisie humaine. Exceptée une entrée en matière un peu lente où les protagonistes se présentent, André Salzet nous livre la plume de Maupassant avec autant d’entrain que de délectation.
Tour à tour bigot, jaloux, arrogant, flatteur ou désespéré, ce talentueux comédien prête sa voix posée et sa justesse à tous ces personnages qui, malgré leurs différences sociales, se rejoignent dans le mensonge et la lâcheté.
Son discours est si fluide qu’on a l’impression d’être assis dans cette voiture et d’observer en catimini toutes les bassesses de l’âme humaine. Venez donc prendre place dans ce drôle de microcosme et vous verrez qui de la prostitué ou du grand notable est finalement le plus honnête …
Il y a de la colère dans ce spectacle. Il y a aussi de l’humour, du talent et beaucoup d’engagement. Seuls sur scène durant une heure intense, Régis Vlachos et Charlotte Zotto nous ramènent à l’époque de la Commune et de l’insurrection de 1871.
Mi-révolutionnaire mi-burlesque, leur plaidoyer théâtral rend hommage à Louise Michel et nous fait redécouvrir cette héroïne un peu tombée en désuétude sous les bancs de l’école.
.
De barricade en barricade, Charlotte Zotto et Régis Vlachos nous entraînent dans les pas rebelles et colériques de Louise Michel.
Louise Michel, la communarde
Hormis quelques spectateurs férus d’histoire, peu se rappellent en détail de cette zélée institutrice qui fut l’une des figures majeures de la Commune.
C’est à Charlotte Zotto que revient son rôle : aussi audacieuse qu’imposante, cette comédienne prête volontiers sa fougue et son opiniâtreté à Louise l’Anarchiste. Le regard profond et la voix forte, elle prêche avec cœur les idées progressistes de cette féministe du XIXe siècle autant que sa défense des ouvriers et de la révolution sociale.
À ses côtés, Régis Vlachos endosse tous les rôles masculins, qu’il s’agisse de Jules Ferry, du grand Victor Hugo ou même d’Adolphe Thiers auquel Louise voue une haine profonde. Comique et nonchalant, Régis Vlachos déclame Rimbaud à ravir, use d’autodérision à foison et apporte une belle légèreté à la pièce.
;
Fière et impétueuse, la comédienne Charlotte Zotto prête volontiers sa fougue et son opiniâtreté à Louise l’Anarchiste !
Un spectacle drôle mais engagé
Drôles et complices, les deux comédiens ne se contentent pas de jouer, ils chantent aussi et interpellent le public avec beaucoup de spontanéité. Entre une ballade de Leo Ferré et une chanson de Moustaki, leur connivence scénique nous séduit pour mieux nous replonger dans une période sombre de l’Histoire de France aux échos très actuels : certes, Régis Vlachos et Charlotte Zotto font l’éloge de Louise Michel mais ils en profitent pour dénoncer le sexisme et les trahisons républicaines qui perdurent encore aujourd’hui…
;
La complicité des deux comédiens est palpable tout au long du spectacle
Dans ce manifeste audacieux et décalé, on regrette juste le mélange des genres : nul besoin d’introduire un couple contemporain en phase de rupture pour nous transmettre cette leçon d’Histoire et de liberté. La figure de Louise Michel et l’interprétation impétueuse de Charlotte Zotto se suffisent à elles-mêmes pour passer le message par-delà toutes les barricades !
.
Florence Gopikian Yérémian
Cabaret Louise
Mise en scene : Marc Pistolesi
Avec Regis Vlachos, Charlotte Zotto
Qu’il s’agisse de ses rôles ou de ses mises en scène, Salomé Villiers est une comédienne pleine d’entrain et d’optimisme. Née dans une grande famille d’artistes, elle a épousé la voie théâtrale et fait de ce choix une aventure humaine charpentée de joies et de rencontres.
En cette période de crise pour le monde du spectacle, elle se confie sur son métier, ses amis comédiens et revendique avec une belle ferveur l’exception culturelle à la française. Rencontre.
Florence Gopikian Yérémian : Vous êtes la petite-fille du cinéaste François Villiers (L’eau vive, Les chevaliers du ciel…), la petite-nièce du comédien Jean-Pierre Aumont (Hôtel du Nord, La nuit américaine...), et votre mère Mara est réalisatrice. La scène et le cinéma, c’est définitivement une histoire de famille chez les Villiers ? On ne peut pas y échapper ?
Salomé Villiers: On fait surtout comme on le sent ! 🙂 Pour ma part, j’ai voulu exercer ce métier très jeune, ma famille m’a toujours dit que les métiers artistiques étaient magiques mais que c’était très dur et qu’il fallait faire attention et surtout travailler, chercher, ne jamais être rassasié, toujours travailler et réfléchir, réaliser ce qu’on dit, travailler son imaginaire, lire, aller au théâtre, voir des films, aller au musée, toujours se nourrir l’esprit et “avoir les pieds bien ancrés dans le sol et la tête dans les étoiles” comme me disait ma première prof de théâtre.
Gardez-vous des souvenirs partagés avec vos célèbres aïeux ? Vous ont-ils transmis quelque chose ? Un conseil ?
François Villiers, le grand-père de Salomé
Ne pas lâcher prise. Si on le sent dans ses tripes, c’est qu’on doit aller au bout, peu importe les difficultés ou le temps que ça peut prendre. Je me souviens que mon grand-père, François Villiers, m’a dit un jour que c’était bien de penser toujours à plusieurs histoires en même temps et je suis tellement d’accord avec lui ! Personnellement, je ne saurais faire autrement aujourd’hui car j’ai l’impression que les projets se nourrissent les uns des autres dans ma tête et du coup ça structure toute ma pensée.
Malgré votre ascendance artistique, vous avez grimpé les marches en suivant un parcours classique, lequel précisément ? Le conservatoire ? Une école de théâtre ?
Le premier cours de théâtre qui m’a marqué et où je me suis dit « c’est vraiment ça que je veux faire de ma vie et je vais m’y plonger à fond », c’était les classes de Mireille Delcroix. J’ai commencé à les suivre au lycée, durant 3 ans et c’était fantastique. On a joué Le Misanthrope au Théâtre de la Commune mis en scène par David Géry. Puis, je suis rentrée au conservatoire du XIème avec Alain Hitier et Philippe Perrussel. J’ai adoré ces années de formation, on avait 40h de cours par semaine avec deux profs aussi exigeants que bienveillants qui nous faisait beaucoup travailler les classiques. J’en étais heureuse car ce sont les pièces classiques qui m’ont bouleversée gamine et donné envie de faire ce métier. C’est aussi grâce au conservatoire que je me suis lancée dans la mise en scène en me rendant compte que j’aimais autant faire cela que jouer.
Salomé Villiers et le comédien Etienne Launay
Quelle a été votre toute première scène en tant que comédienne?
Je crois que les premières scènes que j’ai travaillées étaient issues du Jeu de l’Amour et du Hasard de Marivaux. Puis, il y a eu Les Bonnes de Jean Genet et Le Misanthrope de Molière où je jouais Arsinoé face à Célimène. J’en garde de très bons souvenirs.
Depuis ces premiers pas, quel est le rôle qui vous a le plus marqué ?
J’ai l’impression qu’on est marqué par tous les rôles qu’on interprète. Que ça se passe bien ou mal, on apprend constamment et on découvre de nouvelles choses sur sa personnalité d’artiste. Les personnages que je travaille se nourrissent sans cesse les uns des autres alors qu’ils n’ont aucun rapport. Par exemple, j’ai trouvé une foule d’inspirations pour interpréter Silvia dans Le Jeu de l’Amour et du Hasardaprès avoir joué L‘Aigle à deux têtes de Cocteau; j’étais plus moi, je ne “jouais plus la jeune fille” et quand j’ai compris ça je me suis sentie entièrement libre ! Quand j’ai intégré l’équipe de Adieu Monsieur Haffmann, le personnage de Suzanne Abbetz et la direction d’acteurs de Jean-Philippe Daguerre m’ont permis de trouver encore plus de libertés tout en restant dans une technique très précise: “un lâcher-prise ». J’ai essayé de me débarrasser de ma nervosité et là aussi ça m’a beaucoup nourri. Enfin, lorsque j’ai dû incarner Sarah dans Kamikazes de Stéphane Guerin, c’est Anne Bouvier qui m’a dirigée avec beaucoup de bienveillance et d’amusement pour me mener vers des états très précis, délicats et nuancés. C’était d’ailleurs très drôle pour moi de jouer la femme d’un nazi et d’interpréter juste après une médecin juive célibataire.
Personnellement, j’aime essayer de retrouver “des sensations physiques” qui m’ont marquées avec les personnages que j’ai interprétés et j’essaie de les additionner à chaque nouvelle expérience
Le metteur en scène est-il le guide d’un comédien?
La direction du metteur en scène, c’est vraiment ce qui épaissit le comédien. C’est lui qui éclaire la route de l’acteur vers son personnage. Une fois que l’acteur a trouvé sa piste, il peut alors s’approprier le rôle et le faire sien.
A vos yeux, le théâtre c’est une histoire de rencontres ?
De prime abord, les comédiens sont marqués par les rencontres qu’ils font avec leurs personnages, mais à mes yeux le théâtre repose sur beaucoup d’autres choses : à la base de tout, il y a la joie intense d’incarner les textes des auteurs. Il faut aussi apprendre à évoluer et à respirer avec ses partenaires afin d’être pris tous ensemble dans le tourbillon de l’histoire que l’on raconte. Il y a également une véritable excitation qui naît de la recherche avec les metteur(ses) en scène et toute l’équipe artistique : quelle émotion quand on découvre le costume de son personnage, quand on parcourt le décor dans lequel on va évoluer ou lorsqu’on entend pour la première fois les musiques de son futur spectacle ! Bref, c’est tellement puissant et émouvant une équipe qui se réunie autour d’un projet théâtral. Pour moi, quand on est comédien, on est autant marqué par nos rôles que par l’aventure humaine qui se tisse tout autour.
Quelles sont vos dernières créations ?
Avant le confinement, j’étais en plein dans les joyeuses répétitions deBadine, une adaptation que j’ai faite de On ne Badine pas avec l’amour d’après Musset. Nous devions jouer au TNF du Chesnay, au festival du Mois Molière à Versailles et enfin au Théâtre des Gémeaux pour le festival d’Avignon… Mais tout a été décalé… nous reprendrons dès que cela sera possible. J’ai vraiment hâte, car en septembre sont également prévues les répétitions de Beaucoup de bruit pour rien de Shakespeare que j’ai mis en scène avec Pierre Hélie l’année dernière.
Peut-on dire que vous avez une approche pop-rock et plutôt ludique de la mise en scène ?
C’est différent à chaque fois mais, en effet, j’aime le rythme, la fantaisie et la poésie. J’essaie de penser à tout ça afin d’octroyer un équilibre particulier à mon travail de mise en scène. Le plus important cependant reste le texte. Et la sincérité, la folie, la sensualité, l’humour, l’élégance, l’intensité, la souplesse bref, en un mot : le charisme des actrices et des acteurs qui me passionnent.
Qui sont les metteurs en scène qui vous inspirent ?
J’apprécie énormément Arianne Mnouchkine, Joel Pommerat, Simon Abkarian ou Julie Taymor … ce n’est pas facile de faire une liste.
Vous rappelez-vous d’une pièce qui vous a séduite ou bouleversée en particulier ?
Dernièrement, j’ai adoré Marie des Poules mise en scène par Arnaud Denis ainsi que Rougede Jeremie Lippmann. J’ai également été scotchée par le dernier spectacle des Chiens de Navarre Tout le monde ne peut pas être orphelin et par la mise en scène de Simon Godwin de la pièce de Shakespeare Antoine et Cléopâtre. Et puis, j’ai aussi été bluffée par la performance d’acteur de Maxime d’Aboville dans Je ne suis pas Michel Bouquet.
Julie Cavanna, Jean Philippe Daguerre, Alexandre Bonstein, Salomé Villiers et Gregori Baquet dans la pièce “Adieu Monsieur Haffmann”
Durant le confinement, vous avez réuni près de 80 amis artistes pour créer des vidéos en compagnie du comédien Étienne Launay. Parlez-nous de cette belle initiative.
Au cours d’un apéro en FaceTime avec deux amis (Jean Barney et Catherine Cyler), ils nous ont lancé l’idée de décliner la tirade des « Non, merci » de Cyrano de Bergerac avec plusieurs artistes. On a trouvé l’idée formidable et on s’est lancé ! De fil en aiguille on s’est retrouvés à 53 pour Cyrano et ensuite à 83 pour réciter La Fontaine. On s’est beaucoup amusés à construire ces vidéos. On avait envie de revoir nos camarades, de construire un objet tous ensemble, de créer une bulle, un moment de théâtre même si nous étions séparés et ça nous a fait un bien fou. C’était très excitant de chercher des textes puissants qui pouvaient fonctionner avec l’exercice d’un choeur d’artistes et qui correspondait tout à fait à la situation étrange que nous avons tous vécue.
Vu la situation stagnante du monde du spectacle, allez-vous continuer ces vidéos ? Après La Fontaine et Cyrano, place à Shakespeare ? Molière ? Un auteur contemporain ?
On se pose des questions, on cherche, on tâtonne, on essaie des choses, mais on reprend surtout le cours de la vraie vie et on se sort l’esprit du virtuel pour le moment. On revoit la famille et les amis, en chair et en os et ça fait du biiiiiien (en attendant de pouvoir les prendre dans nos bras )!
Comment percevez-vous les conséquences de la pandémie ?
Salomé Villiers en compagnie d’Etienne Launay et de Pierre Hélie pour la pièce “L’Affaire Courteline”
J’espère de tout coeur que le secteur culturel va pouvoir redémarrer au plus vite dans des conditions sécurisées. J’ai hâte de retravailler et de tourner cette page sombre de notre histoire internationale. J’espère également que l’être humain va se rendre compte avec cette crise à quel point nous sommes allés trop loin dans la recherche du “toujours plus” et dans cette soif insatiable qui nous a fait perdre le sens des réalités. Ce virus ne sort pas de nulle part et j’espère que nous saurons tirer les enseignements de ce que nous avons vécu pour que cela ne se reproduise plus. Il faut revenir à l’essentiel et surtout le préserver
Restez-vous optimiste quant au devenir des gens du spectacle ? La prolongation des droits aux intermittents octroyée le 6 mai dernier par le Président va-t-elle suffire à sauver ce secteur fragile ?
Je suis quelqu’un de très optimiste donc oui je suis sûre que nous allons sortir de cette crise et que la passion du secteur culturel résonnera d’autant plus fort. Je suis très rassurée quant à la prolongation des droits des intermittents, ça me paraissait essentiel mais ça ne suffira pas à sauver tout le secteur culturel. Les structures de production de spectacles ont été très fragilisée par tous les évènements qui se sont produits depuis la rentrée 2019, entre les grèves, les manifestations et le virus…Les lieux qui accueillent les spectateurs ont été touchés de plein fouet et ont besoin de l’aide du gouvernement pour continuer leurs activités. Si il n’y a pas de lieux pour accueillir les spectacles, ni de producteurs qui croient aux projets et investissent leurs sous et leur énergie, la Création va être gravement menacée. Et ça vaut pour le théâtre, pour les tournages , les expositions, les concerts… Sans le gouvernement ça va être très complexe de rebondir. Il est urgent d’aider TOUS les métiers de la culture car au delà des intermittents, d’autres travaillent dans ce secteur sans bénéficier de ce statut et sont gravement en danger. Je suis donc soulagée par l’année blanche pour les droits des intermittents mais je reste prudente et lucide. Oui, je suis heureuse que l’État tente de faire au mieux pour sauver ce secteur, oui je suis heureuse d’être Française et que les artistes soient protégés dans ce pays, car on a de la chance comparé aux autres, mais tout ça ne m’empêche pas de me dire qu’il faut toujours être vigilant et tout faire pour protéger “l’exception culturelle à la française” et tous les emplois qui gravitent autour d’elle. La culture c’est la nourriture de l’esprit et il est vital de la défendre.
Avez-vous un dernier message à transmettre de la part des gens du spectacle ?
Je pense à cette anecdote que j’aime bien sur Winston Churchill. Quand on proposa à Churchill de couper dans le budget de la culture pour aider l’effort de guerre, il répondit tout simplement : « Mais alors, pourquoi nous battons-nous ? »
Madeleine a la mémoire qui vacille. Du haut de son grand âge, elle voit disparaître ses souvenirs les uns après les autres: il en va ainsi de sa carrière théâtrale, ses amours ou ses drames personnels. Épaulée par sa petite-fille qui lui donne autant de force que de tendresse, elle tente de lutter contre le temps qui passe tout en cherchant le salut…
Retour sur les rives du Siam
La pièce Savannah Bay repose entièrement sur l’écriture chaloupée de Marguerite Duras. Avec son texte qui va et vient entre le présent et le passé, elle nous donne une impression de ressac qui traduit parfaitement l’atmosphère marine de cette histoire.
En effet, bien que la douce Madeleine soit en maison de retraite, ses réminiscences la ramènent inlassablement sur les rivages d’une petite ville du Siam.
Là, au milieu de la mer, lovés sur une pierre blanche, deux corps se sont passionnément aimés. De cette folle étreinte, une enfant est née, puis sa mère, Savannah, a disparu aufond des eaux …
Le fantôme de Savannah
À travers le dialogue de Madeleine et sa petite-fille, Marguerite Duras fait réapparaître la figure énigmatique de cette disparue. Tout est raconté délicatement, en pointillés, avec autant de mélancolie que de mystère.
Cette mort était-elle un suicide ? Une noyade accidentelle ? Qui d’autre que Madeleine peut-encore se rappeler les tristes événements qui lui ont dérobé sa progéniture ?
C’est en tout cas ce que veut savoir sa petite-fille, née de cette mère morte, avalée par les eaux. En incitant Madeleine à scruter les méandres de sa mémoire, l’orpheline espèreainsi pouvoir retrouver le fil de sa propre identité.
Un récit à deux voix
Dans ce récit à deux voix qui ressuscite le fantôme de Savannah, la parole est tout d’abord donné à sa fille.
Alternant douceur et nervosité, la comédienne Anne Frèches interprète sa partition complexe avec beaucoup de fraicheur. Son personnage en quête de mère exige d’elle une diction forte qu’elle pousse parfois un peu trop avant de reprendre sa douce Madeleine dans ses bras. Tantôt allègre, tantôt irritée, sa protagoniste a du mal à tempérer son humeur car elle ne sait pas trop si sa grand mère a de vraies absences ou si elle est refuse volontairement de ressasser son douloureux passé.
C’est à Michèle Simonnet que revient le rôle de cette aïeule. L’oeil rond et vitreux, elle incarne avec bienveillance la figure égarée de Madeleine. Drapée dans son châle rose, elle chantonne et sourit, mais l’on devine bien qu’elle est en souffrance.
Comment ne pas l’être quand on perd une enfant ? Pour surmonter la mort de Savannah, Madeleine a vraisemblablement continué à vivre à travers son métier de comédienne : chaque soir de son existence, elle s’est ainsi forcée à monter sur scène pour se projeter dans d’autres personnages qu’elle même.
Entre déni et oubli
À présent que sa carrière théâtrale est terminée et que sa petite-fille la supplie de raconter la réalité, Madeleine ne sait plus le faire ou ne veut plus : entre déni et oubli, elle a reléguée la mort de Savannah aux oubliettes.
En contemplant sa fatigue, ses absences et son regard qui s’étiole, le spectateur se demande alors si cette femme n’a pas théâtralisé toute son existence depuis la mort de Savannah, même en dehors de la scène. Là, face à sa petite-fille, face à elle-même, face à nous également, Madeleine ne continue-t-elle pas tout simplement à jouer un personnage ?
Une belle musicalité
Afin d’accompagner ces deux actrices dans cette quête de mémoire et d’identité, le metteur en scène Christophe Thiry a opté pour un décor très sobre mettant en avant la musicalité de la langue dumassienne. Il a également fait appel à l’instrumentiste Renan Richard-Kobel pour ponctuer le récit de tuba, de guitare et de xylophone. En écoutant ces mélodies, le spectateur a l’impression d’être plongé dans un autre temps et il ressent une sorte de lenteur comme si il entendait défiler les partitions désuètes d’un orgue de barbarie.
Cela est bien trouvé car le texte de Marguerite Duras est lent et morcelé. Il faut le dire car tout le monde n’est pas apte à apprécier une telle écriture: en effet, il n’y a pas vraiment d’action dans cette histoire, plutôt des mots et des sensations. Sensations de moiteur, de lointain, de latence également. Sensations de douleur, de détresse, de regrets aussi. Tout y est volontairement confus car Duras adore plonger ses lecteurs dans ce type d’atmosphère aussi sourde que délétère.
En venant voir ce spectacle, ne cherchez surtout pas de réponses. Ressentez juste l’amour qui se tisse par-delà la mort entre une grand-mère et sa petite-fille.
Savannah Bay ? Une pièce simple, intimiste, bercée par la mélancolie poétique de Marguerite Duras.
Et si vous commenciez l’année en musique avec un quatuor swinguant et insolite ?
Le spectacle ABC D’Airs et ses quatre fringantes interprètes est de retour au Lucernaire pour vous faire voyager sur les lettres de l’alphabet.
La partition commence en gloussant sur un Ahhhh, se poursuit avec un B des plus Baroques,puis les lettres défilent les unes après les autres et les mélodies s’enchaînent. Passant du jazz au classique sans oublier le disco, les quatre musiciennes égrainent allègrement des chansons d’amour, des espagnolades ou des jeux de diction.
Qu’il s’agisse de la contrebassiste, de la pianiste, de la joueuse de hautbois ou de la soprano, ces dames sont de véritables virtuoses mais elles savent aussi s’amuser et ont décidé de nous faire rire.
Grimpant sur le piano, dansant la sarabande ou déclamant des historiettes, elles éveillent nos oreilles et font défiler devant nos yeux un singulier bestiaire composé de loups, d’oiseaux chanteurs et de même de spermatos !
Complices, sensuelles et mutines, ces filles sont géniales : bien décidées à ne pas s’empoussiérer avec les classiques, elles zappent sur tous les fronts et nous font naviguer entre l’Argentine, les cabarets berlinois ou la grande Russie.
;
Ces dames font swinguer la scène du Lucernaire !
Un séduisant quatuor
Anne Regnier (hautbois) et Claude Collet (piano)
A la source de ce quatuor, Anne Regnier, hautboïste soliste à l’Opéra de Paris. Le souffle souple et la ligne élégante, cette grande instrumentiste a eu l’idée de ce spectacle associant musique et travail scénique.
A ses côtés Claude Collet, 1er prix du CNSM de Paris et pianiste, entre autre, au Mogador et au Théâtre du Châtelet. Le toucher précieux et la main délicate, elle sait aussi s’enflammer et brusquer son public en se lançant dans d’impétueuses toccate.
Amandine Dehant (Contrebasse) et Anne Baquet (voix)
Très caractérielle et sensuelle en diable, Amandine Dehant, nous apprivoise avec son approche ludique et impétueuse de la contrebasse. Dominant son instrument, elle dégaine son archet et en fait jaillir un rythme et des sonorités décapantes. Entre une valse de Khatchaturian et Take Five de Brubeck, la benjamine du quatuor apporte sans conteste un nouveau souffle à nos classiques!
Pour couronner le tout, une voix savoureuse, guillerette et haut-perchée, celle d’Anne Baquet qui se délecte à jouer les chanteuses autant que les narratrices. Ne vous fiez pas à ce petit bout de femme aux allures de danseuse, Anne Baquet sait se confronter au Grand Lustucru autant qu’aux plus belles arias d’opéra. Soprano de haut-vol, elle s’aventure avec humour et grâce à travers tous les répertoires. Pour notre plus grand plaisir !
Avec Anne Baquet (voix), Claude Collet ou Christine Fonlupt (piano), Amandineou Caroline Lekeux (contrebasse), Anne Regnier ou Violaine Dufès (Hautbois et Cor anglais)
Mise en scène : Gérard Rauber
Lucernaire
53, rue Notre-Dame-des-Champs – Paris 6e
Réservations : 0145445734
www.lucernaire.fr
Jusqu’au 27 janvier 2019
Du mardi au samedi à 19h et le dimanche à 16h
La liaison de Jean-Baptiste Poquelin et Madeleine Béjart a duré près de vingt ans. Soudé par le théâtre mais aussi par une tendresse réciproque, ce couple a traversé tous les aléas du temps et de la scène. Lorsqu’en 1661, Molière décide en pleine ascension d’épouser la fille de sa compagne, la pauvre Madeleine en tombe des nues. Déconcertée et trahie par son propre sang, elle tente de rester digne, mais la plaie est profonde…;
Même les grands ont leurs faiblesses…
C’est avec beaucoup de délicatesse et de compassion, que Gérard Savoisien nous livre ce très beau portrait d’une femme trahie. Mettant face à face Molière et Madeleine, il s’immisce dans l’intimité de ce couple peu ordinaire dont les faiblesses rejoignent finalement celles du commun des mortels.
Dans l’alcôve de Molière et Madeleine Béjart
Finement mise en scène par Arnaud Denis, la pièce débute toute en légèreté. Entre les rires, les œillades et les petits reproches, l’on sent la complicité de dix huit ans de vie commune qui enveloppe ces vieux tourtereaux. Pourtant, tandis que Madeleine fait preuve d’un amour quasi maternel envers Molière, ce dernier bougonne et fomente sa trahison.
Molière, compagnon volage…
Interprété avec un certain dépouillement par Christophe de Mareuil, Jean-Baptiste Poquelin nous apparaît sans l’auréole du grand Molière. Modestement vêtu et privé de sa pompeuse perruque, c’est un homme parmi tant d’autres, prêt à troquer sa vieille compagne contre une pucelle pour se donner l’illusion d’une éternelle jeunesse.
Jouant la carte de la lâcheté, il manigance dans l’ombre, peste comme un barbon, lutine Madeleine quand l’envie lui prend, puis annonce sans réserve qu’il lui préfère sa fille. Passant ainsi de la poltronnerie à l’affront le plus cruel, Christophe de Mareuil nous offre une belle dynamique scénique qui répond avec justesse au jeu lumineux d’Anne Bouvier.;
Madeleine, lumineuse malgré sa peine
Pourvue d’une très belle expressivité, Anne Bouvier déploie une myriade d’émotions subtiles pour incarner Madeleine Béjart. Tour à tour tendre, généreuse ou grivoise, elle taquine son Molière en douceur, l’aguiche avec malice et finit toujours par le réconforter lorsqu’il en a besoin. La langue bien pendue, elle se moque de son entêtement à vouloir devenir tragédien et lui reproche de faire trop de courbettes aux grands de ce monde.
Bien que suspicieuse et intelligente, la pauvre amante ne se doute pourtant pas de la morsure que son vieux chien va lui infliger: face à l’annonce de ces épousailles ridicules avec sa propre fille, Madeleine va se décomposer puis tenter, malgré tout, de rester digne.
Coiffée de son petit chignon et parée de ses grandes jupes, la comédienne Anne Bouvier nous livre alors une magnifique palette de nuances soulignant la double douleur de sa protagoniste : femme trahie, certes, mais aussi mère trahie au plus profond de sa chair.;
Vivre c’est faire du théâtre
Dans ce tête-à-tête cruel et pourtant si réaliste, Gérard Savoisien nous présente la fin de ce couple mythique à la façon d’un acte théâtral. Mettant à nu les fêlures et les petits secrets de Jean-Baptiste et Madeleine, il leur brode des répliques drôles et spirituelles, parsemées de clins d’oeil aux pièces de Molière.
À travers ces allusions humoristiques qui font mouche auprès du public, l’auteur reprend ainsi à son compte la critique des hypocrites et celle des courtisans sans honneur. Il y ajoute habilement celle des lâches et des hommes volages qui, à l’exemple de Molière, ne savent pas résister à leurs pulsions égoïstes.
En faisant ainsi descendre Molière de son piédestal, Gerard Savoisien réalise en quelque sorte, le procès du grand homme tout en conférant à Madeleine Béjart une très belle noblesse d’âme. Justice est faite.