La Marquise de Merteuil est de retour…

Si vous aimez l’univers précieux et spirituel des Liaisons Dangereuses, sachez que Merteuil est de retour. À travers une pièce à deux voix, la comédienne Marjorie Frantz vient, en effet, de la ressusciter : à la fois auteure et interprète, elle nous livre la suite des aventures de cette marquise déchue qui se retrouve confrontée aux fantômes du passé…

Dans la continuité des écrits de Choderlos de Laclos, Marjorie Frantz a conçu un dialogue succulent où deux des personnages des Liaisons vont se retrouver quinze ans après la mort de Valmont. À travers une écriture châtiée et engagée, ce nouveau texte, qui prend place après la Révolution, porte un questionnement pertinent sur la place de la femme au XVIIIe siècle et trouve un étonnant écho au sein même de notre époque.

SYMA News a rencontré Marjorie Frantz qui nous en dit d’avantage quant à sa plume et ses intentions.

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Quinze ans après la mort de Valmont, la charmante Cécile de Volanges ose enfin tenir tête à la machiavélique Marquise de Merteuil. Et si les rôles finissaient par s’inverser ?

Rencontre avec Marjorie Frantz 

Florence Gopikian Yérémian : Qu’est-ce qui vous a donné envie d’offrir une suite aux Liaisons dangereuses 

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Marjorie Frantz, auteur et interprète

Marjorie Frantz : La Marquise de Merteuil. Son mélange d’intelligence, de mauvaise foi, de charme et de dangerosité en font un personnage on ne peut plus inspirant.

Diriez-vous que vous proposez une relecture féministe de l’œuvre de Laclos ? En effet, bien que vos deux protagonistes – Mme de Merteuil & Cécile de Volanges – soient rivales, elle sont toutes deux en quête d’émancipation et se rejoignent face au patriarcat et à la misogynie qui les entourent.

Je ne me permettrais pas de proposer une relecture de Laclos. Mon texte est plutôt une digression, une suite possible d’évolution des personnages. Qu’il s’agisse de Mme de Merteuil ou de Cécile, elles ont chacune souffert en tant que femmes mais n’ont pas réagi de la même manière. Les deux sont victimes mais elles se battent avec des armes différentes pour tenter de traverser une période de l’histoire où la Révolution Française a certes fait avancer beaucoup de choses mais pas assez vis-à-vis du regard porté sur la condition des femmes.

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Selon vous, Merteuil est-elle une « féministe » avant l’heure ou éprouve-t-elle seulement une haine et un besoin de domination à l’égard de ses semblables ? Lorsqu’elle s’adresse à Cécile, elle dit tout de même « Je suis née pour venger mon sexe et maîtriser le vôtre » 

La marquise est pour moi un animal blessé. Brillamment lucide et intelligente dès son plus jeune âge mais vraisemblablement violée en pleine adolescence par un mari bien plus âgé, elle a décidé qu’on ne lui ravirait ni sa liberté de penser ni celle de jouir comme elle l’entend de la vie et des autres. N’oublions pas que « libertinage » vient du mot « liberté ».

Votre cœur penche-t-il d’avantage vers les aspirations de Cécile ou vers celles de Mme de Merteuil ?

Lorsque j’ai écrit ce texte, mon idée n’était pas de donner une morale à l’histoire mais de laisser les spectateurs alterner entre les arguments de la marquise et la douleur de Cécile. Il y a du vrai dans chacune d’elle, de la violence, de la rancune et du plaisir à faire entendre ses valeurs. Comme dans la vie, les principes sont mis en balance lorsque le cœur s’en mêle et je voulais que le public éprouve de l’empathie autant pour l’une que pour l’autre. 

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Chloé Berthier (Cécile de Volanges) et Marjorie Frantz (La Marquise de Merteuil) nous offrent une très belle joute oratoire dans l’esprit de Laclos.

Votre réflexion subtile sur la place des femmes au siècle des lumières a-t-elle pour intention d’éveiller les esprits quant au statut du beau-sexe à notre époque ?

Je n’ai voulu qu’exprimer le ressenti de femmes qui, à cette époque, quoique préservées et nanties, devaient s’ennuyer à mourrir une fois le tour du parc fait ou leur broderie achevée. L’oppression de la société du XVIIIe et de la bonne morale les cantonnaient dans un rôle qui devait être étouffant au regard de nos codes actuels. Je fais dire à Merteuil “ Je ne suis pas perverse, je suis désobéissante” , c’est une manière concise de montrer qu’à l’époque, si l’on n’était pas dans les codes de la bienséance, cela relevait du vice. Les femmes n’avaient donc pas vraiment le choix et Merteuil a utilisé avec habilité ces codes pour s’en moquer. Sa plus grande erreur a été d’oublier qu’elle avait un cœur et qu’à trop longtemps jouer, on perd la partie.

chloe-berthier-symanews-yeremian-lucernaire-volangesD’où votre précieuse plume puise-t-elle son inspiration ? D’autres ouvrages à part celui de Choderlos de Laclos, ont-ils abreuvé votre imagination ?

Pour écrire cette pièce, je me suis beaucoup documentée. J’ai évidement lu Les liaisons dangereuses une bonne dizaine de fois mais aussi “Le traité des femmes” de Laclos, « La déclaration des droits de la femme » d’Olympe de Gouges, ainsi que beaucoup d’ouvrages du XVIIIe siècle qui représente à mes yeux le moment le plus flamboyant de la littérature française. Je me suis attelée également à écrire une adaptation d’un texte d’Edmond Rostand. C’est une gymnastique de l’esprit à laquelle j’ai pris goût et qui oblige à passer du stylo à la plume, de façon métaphorique bien sûr!

Comment s’est fait le choix de la comédienne Chloé Berthier qui interprète Cécile de Volanges ?

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Chloé Berthier prête son visage angélique et sa détermination au personnage de Cécile de Volanges.

Chloé Berthier est une comédienne formidable et une personne avec qui j’avais eu grand plaisir à travailler auparavant. Je ne voulais pas d’un duel scénique trop déséquilibré. Il ne fallait pas une jeune femme trop fragile face au personnage de Merteuil sinon le jeu aurait été faussé. Qu’elle soit blonde et fraîche, oui, mais avec du tempérament. Qu’on sente que la cocotte boue et qu’elle ne va pas se laisser faire tout en gardant la fébrilité d’une femme qui a devant elle ce qu’elle considère comme son bourreau. Je trouve que Chloé dégage à merveille tous ces facettes.

Vous avez confié la mise en scène à la talentueuse Salomé Villiers

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Après “La Grande Musique”, Salome Villiers signe la mise en scène de “Merteuil”. Également comédienne, elle a obtenu le Molière 2023 de la Révélation Féminine (Photo: Natacha Lamblin)

Je suis le travail de Salomé depuis ses débuts. Nos parents étaient amis et nous nous connaissons depuis toujours. Lorsque je lui ai fait lire la première ébauche du texte pour avoir son avis, elle m’a tout de suite dit : « Je prends ! » Elle semblait convaincue que Merteuil était un personnage qui m’irait bien, nous avions déjà évoqué l’idée de monter ensemble Les liaisons dangereuses mais le timing ne s’y prêtait pas. L’idée de travailler avec elle m’a immédiatement séduite car nous partageons ce même goût pour le spectacle vivant et je savais que sa bienveillance et son énergie seraient mises au service de mon texte. N’oubliez pas que c’est mon premier texte mis en scène, j’avais besoin d’être en confiance et de m’entourer de douceur pour faire le grand saut. Salomé remplit toutes ces qualités à mes yeux. 

Aurons-nous le loisir de lire un jour « Les brèves mémoires de Madame de Tourvel » signées de votre main ? L’espace d’une nouvelle pièce, vous pourriez redonner vie aux dernières pensées de cette malheureuse morte au couvent sous l’emprise de Valmont.

Les mémoires de Madame de Tourvel tourneraient vite court, il me semble. Ne dit-elle pas « Comment ai-je pu être aussi naïve! »…

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“Lorsqu’une femme en combat une autre, l’issue est souvent fatale…”

D’un point de vue cinématographique, quelle adaptation du livre de Laclos vous a le plus séduite : « Valmont » de Milos Forman ou « Les liaisons dangereuses » de Stephen Frears ?

Sans aucune hésitation ” Valmont ” ! Je sais bien que la référence est le film de Frears dans lequel John Malkovich interprète un Valmont redoutable. Je trouve cependant qu’Anette Bening incarne une marquise qui redouble de charme et de malice dans la version de Milos Forman. Il n’y a que Colin Firth qui ne soit pas très crédible en manipulateur pervers. Meg Tilly y campe une présidente de Tourvel bouleversante, quand à la petite Cécile (Fairuza Balk), c’est à elle que j’ai pensé en écrivant cette suite. Elle possède à la fois la candeur de l’enfance et l’appétit de l’adolescence. Je trouve que le film de Forman est un chef-d’œuvre méconnu tant il a été éclipsé par la version de Frears qui est sortie juste avant. On y voit l’ennui dans lequel s’enlise une société qui ne se soucie que de passer du bon temps sans se méfier de la révolution qui approche. Bien sûr Glenn Close y est magistrale dans la version de Frears mais finalement je trouve que dès le générique on comprend la dureté des personnages de Valmont et Merteuil et au delà de l’esthétique parfaite du film, je le trouve un peu froid.

Florence Gopikian Yérémian – florence.yeremian@symanews.fr

 

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Une pièce de Marjorie Frantz

Mise en scène : Salomé Villiers assistée d’Alexandre Schotten

Avec Chloé Berthier et Marjorie Frantz

Et la voix d’Arnaud Denis

 

Musique : Adrien Biry Vicente
Costumes : Peggy Sturm et Jérome Pauwels
Lumière : Denis Koransky
Production exécutive : Jerome Réveillère
Production : Prismo Production
Coproduction : les Scaldes et Louis d’Or production
Partenaires : Teva

Lucernaire
53, rue Notre Dame des Champs – Paris VIe
T. 0145445734
 

Du 8 mars au 7 mai 2023
À 20h du mardi au samedi et à 17h le dimanche

La pièce dure 1h10

Rencontre avec l’équipe artistique : le vendredi 31 mars à l’issue de la représentation !

Crédit photos : Cédric Vasnier

Florence Gopikian Yérémian est journaliste culturelle. Rédactrice auprès de Muséart, Paris Capitale, L’Oeil ou le BSC News, elle couvre l’actualité parisienne depuis plus de vingt ans. Historienne d’Art de formation (Paris Sorbonne & Harvard University), correspondante en Suisse et à Moscou, elle a progressivement étendu ses chroniques au septième art, à la musique et au monde du théâtre. Passionnée par la scène et la vie artistique, elle possède à son actif plus de 10000 articles et interviews.