Roger Kasparian est un photographe des plus singuliers. Modeste et réservé, ce jeune homme de 83 ans a pourtant côtoyé les plus grands artistes : entre un shooting des Beatles, un tête-à-tête avec Gainsbourg ou une série de portraits de Johnny, Brel, Claude François et Aznavour, il a immortalisé toutes les idoles des Sixties et des Seventies. Pour cet été, la commune balnéaire de Théoule-sur-Mer rend hommage à son audace et son savoir-faire à travers une belle rétrospective.

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Ringo Starr et Paul McCartney à la terrasse du Georges V

Florence Gopikian Yérémian : Vous êtes né dans un bain argentique ?

Roger Kasparian
Du bout de son objectif, Roger Kasparian a photographié toutes les icônes des Sixties. En arrière plan, on peut voir son autoportrait pris du haut de ses 22 ans…

Roger Kasparian : On peut dire que je suis photographe de naissance. Mon père Varastade a été formé au studio Harcourt et il m’a transmis le virus de la photo au sein du studio Boissière qu’il a ouvert à Montreuil en 1941. J’ai moi-même contaminé ma descendance : qu’il s’agisse de mes filles ou de mes petits-enfants, ils ont tous un appareil autour du cou ou une affinité avec le 8eArt.

Lorsque l’on parcourt l’exposition, on est impressionné par toutes les rencontres que vous avez faites : Vous avez vraiment photographié l’ensemble des stars des Sixties et des Seventies !

Je me suis retrouvé dans le milieu du show-biz un peu par hasard. Je dirais que c’est un mélange de chance et d’intuition. Au tout début des années 60, j’ai commencé à trainer à la sortie des salles de concerts et à rencontrer des artistes qui démarraient leur carrière. J’avais du flair, j’étais à l’écoute, je captais l’air du temps et j’adorais mon métier.

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Shooting avec Jacques Dutronc… dans sa baignoire !

LA BRITISH INVASION

À la fin des années 50, la France voit en effet débarquer de nombreux groupes de Liverpool, Londres ou Manchester, et vous êtes là avec votre objectif face à cette « invasion British »…

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Pete Townshend des Who

Absolument. A cette époque des groupes tels que les Kinks, les Moody Blues ou les Animals n’étaient pas du tout connus dans l’Hexagone. Je les attrapais à la sortie des aéroports, je m’immisçais dans leurs hôtels et je les suivais dans leurs tournées sans aucune accréditation. Je travaillais complètement en free lance et au feeling. C’est ainsi que j’ai photographié à maintes reprises les Who ou les Beatles.

L’exposition présente justement une photo de Pete Townshend, le guitariste et principal compositeur des Who ainsi qu’un cliché du groupe devant un fourgon.

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Roger Daltrey, le chanteur des Who à son arrivée à Paris

Je me rappelle de ces photos : les Who avaient débarqué d’Angleterre avec cette drôle de camionnette. Ils étaient complètement crevés du voyage au point que Pete s’est endormi juste avant leur concert à la Locomotive.

Et qu’en est-il des Beatles ?

Les Beatles aimaient la provocation. Ils jouaient à un jeu de séduction avec le public. Quand ils ont débarqué à l’aéroport de Paris, ils ont dû faire deux fois la descente de l’avion pour avoir suffisamment de fans et d’acclamations car ils n’étaient pas encore connus par le public français. Je les ai cueillis au Bourget et puis je les ai suivis au George V. Là, j’ai pu faire de très belles prises sur la terrasse de l’hôtel et les photographier avant leur concert à l’Olympia. Vous imaginez, ils étaient si peu célèbres qu’ils passaient en première partie de Sylvie Vartan !!!

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The Fab Four !

AMERICANS IN PARIS

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La sublime Cher

Après la vague anglaise, il y a eu les stars américaines ?

Les Américains donnaient vraiment le ton à l’époque. Ils faisaient des tournées dans toute l’Europe et remplissaient les salles. J’ai ainsi photographié Cher ou Tom Jones qui exigeait sans cesse d’avoir des Jaguars à sa disposition. Il y a également eu Diane Warwick qui a joué le jeu. J’ai fait une série de prises de sa silhouette sortant de l’ombre lors de son concert à l’Olympia. C’était complexe car il fallait que je trouve la bonne lumière et le bon cadrage pour capter le regard.

Comment avez-vous connu les Rolling Stones ?

La maison Deca leur avait payé un voyage à Paris. J’ai été là au bon endroit, au bon moment. Mick Jagger parlait un peu le français mais il ne croyait vraiment pas à sa future carrière : lorsque je le photographiais, il avait l’air de me dire : « Roger, vous perdez votre temps… ».

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Les Rolling Stones

J’ai aussi fait une belle série avec son égérie, Marianne Faithfull. Elle était très photogénique.

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Marianne Faithfull

LES ANNÉES YÉYÉ

Qui avez-vous accueilli au sein de votre studio photo à Montreuil ?

Le studio Boissière a accueilli Eddy Mitchell, Sheila, Chantal Goya, Richard Anthony…

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Johnny Hallyday à Nice

Et Johnny Hallyday !

Johnny était très jeune quand je l’ai rencontré pour la première fois. Le succès lui est tombé dessus d’un seul coup. C’était un beau gosse, il était vraiment adorable et disait oui à tout. On voulait qu’il représente la jeunesse de l’époque et il était prêt. On peut dire que Johnny avait le don de capter les spectateurs dès qu’il montait sur scène. Quand il arrivait, on l’attrapait par le col et on le poussait sur scène et là, il prenait possession de la salle, sans se forcer et tout le monde oubliait son retard…

Vous avez aussi eu le privilège de côtoyer Serge Gainsbourg ?

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Gainsbourg avant Gainsbarre

Gainsbourg était un véritable dandy. Il était impeccable sur lui et portait des gants pour les photos en extérieur. Il savait poser et avait le sens de la mise en scène. J’ai d’ailleurs très peu influé sur ses expressions lors du shooting. On a aussi travaillé en intérieur. Son appartement était noir et sombre à l’image de l’intello rive-gauche qu’il était alors. On a beaucoup bavardé ce jour, Gainsbourg savait qu’il était dans le creux de la vague par rapport aux tendances yéyé et Rock’n’roll. Il m’a dit : « Ils veulent de la soupe et bien je vais leur en faire et comme ça j’aurai ma Rolls ! ». Après cela il a effectivement changé de style en délaissant Gainsbourg pour Gainsbarre. Il a mis 10 ans pour y arriver mais il a eu sa Rolls !

Et qu’en-est-il d’Aznavour, votre compatriote ?

En tant qu’arménien, il était très important pour moi de suivre cet artiste. Aznavour a a bavé au départ. Vraiment. Je l’ai plutôt connu au moment de sa gloire, quand il représentait déjà l’Arménie à lui tout seul. Je l’admire car il a dépassé ses origines et sa notoriété pour devenir un symbole. J’ai photographié Aznavour à plusieurs occasions : il a eu par exemple sa première à l’Alhambra en compagnie de célébrités parisiennes aussi prestigieuses que Jean Cocteau ou Armstrong. J’ai aussi fait des reportages chez lui à Mougins avec sa famille et ses amis. Il y a d’ailleurs une série de clichés ou il monte à cheval avec Johnny. Aznavour se laissait photographier, mais savait aussi garder ses distances avec la presse.

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Aznavour, Trenet et Cocteau à l’Alhambra

Quel est votre regard sur la photo d’aujourd’hui ? Quelle est sa place ?

En ce qui concerne la photographie d’artiste, on ne peut plus avoir la liberté de mon époque. C’est bien trop difficile de passer la barrière des staffs, des imprésarios et des attachés de presse. Avant tout était beaucoup plus simple : je suivais les artistes en coulisse et personne ne disait rien. Maintenant c’est devenu un vrai business, le charme est perdu.

Florence Gopikian Yérémian – florence.yeremian@symanews.fr

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Espace Culturel

9, avenue Charles Dahon

Du 6 au 28 août 2022

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Pour toutes infos : 04 92 97 47 75
culture@ville-theoulesurmer.fr

Florence Gopikian Yérémian est journaliste culturelle. Rédactrice auprès de Muséart, Paris Capitale, L’Oeil ou le BSC News, elle couvre l’actualité parisienne depuis plus de vingt ans. Historienne d’Art de formation (Paris Sorbonne & Harvard University), correspondante en Suisse et à Moscou, elle a progressivement étendu ses chroniques au septième art, à la musique et au monde du théâtre. Passionnée par la scène et la vie artistique, elle possède à son actif plus de 10000 articles et interviews.