Poète de Montmartre à la voix rocailleuse, Igit a depuis ses débuts pris le temps de gravir les marches du Sacré de la chanson française. Une « Belle époque » passée et présente qu’il conte dans son nouvel EP mêlant nostalgie et optimisme d’un auteur-compositeur à la plume élégante. Entretien.

Igit - Belle époque - EP
© Bastien Burger

« J’ai une grosse nostalgie de mes jeunes années »

SYMA : Vous êtes de retour avec l’EP « Belle époque », que symbolise cet intitulé?

Igit : C’était une manière de résumer le sujet de l’EP qui est le temps qui passe et de faire un clin d’oeil avec une double lecture. Ça peut évoquer l’expression la « belle époque» comme le passé mais ça peut être aussi une vision de l’époque actuelle un peu optimiste.

Justement les titres tournent autours de ce temps qui passe, êtes vous de nature nostalgique ?

Oui mais optimiste à la fois. C’est vrai que j’ai une grosse nostalgie de mes jeunes années, quand je me balade à Montmartre. Parce que malgré tout je commence à prendre un peu d’âge même si ça reste raisonnable (rires), mais en même temps je suis très optimiste sur ce qui va venir. Ce que j’essaie de résumer dans la chanson «Belle époque » justement en disant que probablement on est nostalgique du temps des jeunes années mais quand j’aurai 60 ans je serai surement nostalgique de l’époque que je vis actuellement. Donc prendre un peu de recul par rapport aux choses et se dire qu’on est déjà dans la nostalgie de demain donc profiter.

D’ailleurs dans ce titre éponyme vous dites poétiquement « Paraît que c’était mieux avant. C’est quand même mieux maintenant que demain », c’est une manière de relativiser ?

Exactement, prendre de la hauteur par rapport aux choses et relativiser beaucoup tout le temps.

Avant vous Léo Ferré ou Calogero ont chanté le temps qui passe, c’est visiblement un thème universel ?

Forcément quand on est auteur il y a toujours un moment de notre vie où on se pose un petit peu. Personnellement cet EP a été écrit à une période où en quelques semaines j’ai perdu ma mère et j’ai eu mon premier enfant. Ça m’a fait beaucoup réfléchir au temps qui passe, aux générations qui se croisent et j’ai eu envie de poser tout cela calmement en chanson.

Vous abordez aussi le sujet délicat de la fin de vie, vous n’avez pas peur d’aller sur des terrains sensibles à l’heure où de nombreux artistes vont à l’inverse vers plus de légèreté ?

Ça n’est pas trop mon truc à moi. J’essaie de traiter ce genre de sujet mais d’y amener une certaine légèreté. D’ailleurs il n’y a pas de jugement ni de prise de parti, je me suis simplement mis dans la peau de quelqu’un qui envisage cette fin de manière assez calme. C’est dans ma nature. Même si c’est difficile de retranscrire ce calme en chansons. Juste d’amener ce sujet tabou.. Pour ma part j’ai vécu autour de moi une fin de vie non provoquée mais qui a été assez joyeuse parce qu’elle a été prévue et anticipée. Et c’est ça aussi que j’ai envie de transmettre aux gens, que ces moments là peuvent être aussi des moments joyeux et de rassemblement et pas forcément terribles.

La notion de calme s’en ressent justement dans la musique épurée et le visuel en noir et blanc.

C’est pour ça qu’on a dépouillé au maximum le côté production pour faire quelque chose d’assez brut.

Cerise sur le gâteau il y a votre voix puissante et rocailleuse, c’est un atout que vous cultivez ?

Je chante comme je parle. Je pense que maintenant j’ai trouvé la bonne manière de chanter, pour ne pas que ça fasse emprunté à quelqu’un ou imitation. Pour le coup je n’ai pas beaucoup réfléchi à ma voix, elle s’est posée assez naturellement de la sorte et je pense avec ces chansons avoir trouvé ma « voix » au sens propre comme figuré.

Igit - belle époque - clip

« Je me sens en période où l’enfant, le vieux et moi co-habitent de manière sereine et apaisée »

Avant ce disque il y a eu un EP en 2015 puis un premier album en 2017, vous êtes plutôt du genre à prendre votre temps pour créer, à ne pas forcer les choses ?

Oui c’est vrai, j’ai eu aussi pas mal d’activités à côté. Je fonctionne un peu par période, je donne beaucoup à d’autres et là j’avais cette sensation d’avoir des choses à dire. Il faut juste avoir les bonnes choses à raconter je pense. J’ai besoin d’être sûr de ce que je fais, prendre mon temps et pouvoir envisager les choses de manière sereine.

Notamment pendant le confinement à l’inverse de la majorité d’artistes vous n’avez pas du tout été inspiré ?

Pour écrire j’ai besoin qu’il y ait du mouvement autour de moi, d’être en terrasse de café, dans les transports, en extérieur. Le fait de m’être retrouvé seul à la maison n’a pour ma part pas du tout été propice à la création. Et j’en connais beaucoup autour de moi pour qui ça a été le cas aussi.

À 37 ans vous vous sentez vieux ?

Je me sens entre les deux, ce que j’essaie de dire dans la chanson « L’enfant, le vieux et moi ». C’est que je me sens vieux mais aussi enfant. En période où l’enfant, le vieux et moi cohabitent de manière sereine et apaisée en fait. Donc je suis enfant quand il le faut et vieux et sage quand il le faut. J’ai la chance d’être à peu près au milieu de la vie donc de pouvoir choisir en fonction des instants celui que je veux incarner, mais tout le monde cohabitent de manière assez paisible.

Quel a été d’après vous la meilleure époque de votre vie d’artiste ?

Je pense que c’est l’actuelle. Je suis beaucoup plus serein, posé et j’ai une grande fierté d’avoir pu porter jusqu’au bout cet EP là parce que c’est vrai qu’il est un peu en dehors des codes de la variété, il s’écoute. Je me doute bien que je ne vais pas passer 18 fois par jour sur NRJ avec.. Mais le fait d’apporter ma pierre à l’édifice dans la chanson française avec quelque chose comme ça, j’en suis très fier. J’ai l’impression d’avoir rempli une petite et humble mission.

Igit - The voice - the voice 3 -

« The Voice a été une aventure rigolote, je ne regrette pas d’être passé par là »

Vous avez débuté dans les rues de Montmartre, c’est un exercice qui a forgé votre manière d’interpréter ?

Oui, la rue est une école formidable pour ce qui est des chansons et du lien avec les gens, mais derrière il y a des contraintes de chanter très fort. Pour ma part je chantais sans micro donc j’ai pris des habitudes à déconstruire derrière, réapprendre à s’adresser au public différemment. Mais j’aimerai bien y retourner, ça m’arrive d’ailleurs d’y aller de temps en temps juste pour ces instants là.

Prêtez-vous d’avantage attention aux artistes de rue ?

Oui je les soutiens beaucoup, j’ai une tendresse toute particulière pour les gens qui jouent dans la rue, surtout quand ils sont jeunes. Ça se voit qu’il débute un peu.. Et j’essaie de les soutenir au maximum.

On se souvient aussi de votre passage très remarqué lors de la saison 3 de « The Voice ». Une telle exposition soudaine n’a-t-elle pas été un trop gros choc ?

Je ne l’ai pas ressenti comme ça. La production a toujours été hyper respectueuse de mes choix de chansons. C’est une aventure rigolote, je ne regrette pas du tout d’être passé par là. En parallèle j’ai bossé jusqu’au bout, même pendant la tournée je continuais à jouer avec mon groupe dans des bars. J’aime bien tout connaître, je n’ai aucun à priori sur rien, j’y vais. Ça permet de se forger une vision de la réalité la plus juste possible, ce que j’essaye de retranscrire dans mes chansons. Donc c’est bien de tout connaître.

Vous faites parti des candidats emblématiques du format, on vous a contacté pour l’édition All Stars ?

On en a parlé brièvement mais en terme de timing c’était un peu compliqué justement parce qu’il y avait cet EP. Donc finalement ça ne s’est pas fait. Mais ça m’aurait fait marrer de retourner sur le plateau pour voir un peu ce qui s’y passe. Même si je pense que j’aurais eu peur quand même.

Igit - belle époque - traverser l'existence

« Lors de mes concerts il y a vraiment des gens de tous âges, c’est une vraie satisfaction »

Après « The Voice » il y a eu ce premier EP avec des titres comme « Courir » ou «Je suis libre » écrits plusieurs années auparavant. On peut dire que vos titres ont une notion intemporel qu’ils gardent du sens ?

Je pense que c’est ce que tout le monde essaie de faire quand on écrit une chanson, on fait en sorte qu’elle vive le plus longtemps possible. J’espère que ces chansons sont encore intemporelles et qu’elles touchent les gens aujourd’hui comme hier.

On pense aussi à « Noir et blanc » en duo avec Catherine Deneuve, le dialogue a clairement une notion inter-générationnelle.

C’est vrai et je le vois lors de mes concerts. Il y a vraiment des gens de tous les âges, des gens très âgés qui retrouvent un peu la musique de leur jeunesse et à côté des très jeunes qui découvrent la chanson française de cette manière là. Je suis content de ce mélange, c’est une vraie satisfaction.

Vous aimeriez faire de nouveaux duos avec d’autres artistes ?

J’y réfléchi pour l’album en préparation. C’est pas évident parce que ça avait collé avec Catherine Deneuve car le duo faisait sens. Pour moi un duo doit avoir du sens, d’abord trouver la chanson puis trouver la bonne personne qui peut la retranscrire de manière juste. Le duo se fera quand j’aurais la bonne idée.

Igit - Eurovision - Destination eurovision -

« C’est vraiment très agréable d’écrire et composer pour l’Eurovision. Ça permet d’imposer des chansons un peu folles »

Vous écrivez aussi pour d’autres artistes, on pense à « Bim Bam Toi » de Carla, ou « J’imagine » de Valentina sur lesquels vous êtes crédités, comment on fait pour écrire pour de si jeunes talents on se sert de son âme d’enfant ?

Ça veut dire que je ne suis pas trop vieux au final (rires). Je suis arrivé sur ce terrain en écrivant« Maman me dit » d’Angelina puis j’ai crée un lien avec l’Eurovision que j’adore et me suis pris au jeu. C’est vraiment très agréable d’écrire et composer pour l’Eurovision. Il faut juste être enthousiaste à mon sens, et je le fais sans aucun cynisme. Ça permet d’imposer des chansons un peu folles. « Bim Bam Toi » on s’est dit que si ça passait c’était quelque chose de vraiment original, et puis ça a eu le succès qu’on lui connaît. J’essaie vraiment de faire des choses un peu différentes, qui changent un peu de l’ordinaire.

Difficile d’ailleurs de faire le rapprochement quand on écoute ces hits et vos chansons !

C’est ça, les gens ne font pas de suite le rapprochement mais en fait pour moi ça reste un peu la même mécanique. Il y a juste d’autres contraintes d’efficacité et mélodies qui restent dans la tête. Mais par exemple si on se penche bien sur les paroles de « Bim Bam toi » il y a des mots assez fouillés, « saltimbanque », « à la gorge nouée ». Après c’est simplement la production qui donne cet aspect nettement plus moderne et le refrain, mais au final il y a toujours un ADN commun.

Plus proche de votre univers il y a « Voilà » de Barbara Pravi où vous êtes aussi crédité. Encore un succès. Visiblement c’est un exercice qui vous réussi visiblement ?

Oui même si j’en ai écrit d’autres qui passent un peu plus inaperçues mais j’essaie de bien faire mon travail et puis je n’y vais que si j’ai la bonne idée, seulement en rencontrant l’artiste en voyant les facettes de l’artiste. Sinon je ne le fais pas.

Vous diriez que c’est plus compliqué que d’écrire pour soi-même ?

C’est un peu différent mais par exemple dans l’EP j’ai des chansons à la base écrites pour d’autres que finalement j’ai gardé pour moi. Par exemple « Le temps qui reste » était destiné à Julie Zenatti. Elle en a gardé d’autres pour son dernier album, celle là lui parlait moins. Et en la réécoutant elle me plaisait et je m’y suis attaché. Donc ça peut aussi marcher dans le sens inverse. Parfois c’est plus simple de faire des chansons un peu moins introspectives, sans penser à personne puis voir si on peut les incarner.

Enfin dans votre actualité il y a ce concert à La Boule Noire qui approche, que réservez-vous à votre public ?

Déjà je suis content que ça soit complet. On a réarrangé les morceaux exprès, et il y aura une petite nouveauté : je vais présenter un morceau de l’album à venir en septembre en exclusivité. Ça marquera le coup de cet sorti d’EP.

Igit - Belle époque - EP
© Bastien Burger

EP « Belle époque » disponible

5 chansons poétiques autour de l’existence et du temps qui passe et d’une production épurée.

Merci à Igit

DROUIN ALICIA