Il est rare de voir un artiste évoluer autant en si peu de temps tout en restant lui-même. Et pourtant seulement trois ans après son premier hit, le prometteur Eddy de Pretto continue de faire ses preuves. Un artiste imposant d’avantage son univers identifiable et ses idées sur « À tous les bâtards ». Un deuxième album intime et incisif d’un être qui s’assume, animé par l’envie de partager au plus grand monde son ouverture d’esprit. Chronique musicale.

Eddy de Pretto - Désolé Caroline -

À coeur ouvert

« Quand j’étais gars trop moche, chantant sur bateau-mouche, Avec rien dans les poches, j’faisais moins la fine bouche ». C’est avec ces quelques mots sur ses débuts houleux dans le métier qu’Eddy de Pretto ouvre son second opus baptisé « À tous les bâtards ». Un titre cash et provocateur pourtant trompeur. Une façon en réalité pour l’artiste de retenir l’attention du plus grand nombre avec force pour mieux transmettre ses messages. Un ovni musical de retour pour bousculer les foules mais avant tout pour faire réfléchir et sensibiliser au vivre ensemble. Un beau pied de nez à ceux qui l’ont si longtemps fait se sentir différent. Une bonne manière aussi de se libérer un peu plus de ce poids devenu avec le temps sa force et source d’inspiration. Un artiste désormais plus serein parvenant à canaliser sa rancoeur. Tirant un trait définitif sur l’époque où personne ne semblait l’écouter. Un obstacle abordé d’entrée de jeu à bord de «Bateaux mouches ». Un mauvais souvenir qui au fond l’a aidé à se construire et se forger une carapace solide. Accroché à ses rêves de grandeurs d’une capitale qu’il devinait derrière les tours de son enfance à Créteil. Une banlieue du Val de Marne à qui il adresse un clin d’oeil à travers le titre « Val de Larmes ». Se remémorant d’un jeu de mots ses camarades de quartier et affrontements policiers dont il était témoin. Mais aussi ses heures perdues à arpenter les allées du centre commercial « Créteil Soleil ». Souhaitant faire tomber les barrières de « La zone » qui fait peur. « Viens, où l’on dit que tout brûles, Tu verras comme tout y rayonne » invite-t-il. Se rappelant de l’accueil chaleureux de sa tante Rosie surnommée « Rose Tati » chez elle à Paris. Cette ville lumière où se côtoient dans chaque quartier des individus de cultures diverses et variées.

Eddy de Pretto - Bateaux mouches -

Tolérance pour tous

Et si devenir « qqn » (quelqu’un) c’était tout simplement être soi-même ? Une question que soulève Eddy De Pretto derrière sa mise à « Nu ». Dessinant à travers son auto-portrait les contours de la société dans son ensemble. Un monde qu’il rêve uni et tolérant. Moins auto-centré sur sa propre histoire, le chanteur s’ouvre aux autres et parle pour tous. Usant des mêmes thèmes que sur son premier album mais avec plus de recul. Proposant un disque homogène multi-générationnel totalement inclusif sur la quête d’identité et l’acceptation. Animé par l’envie d’interpeller de manière incisive pour mieux rassembler les Hommes entre eux. Car si l’interprète de « Kid » s’aventure à nouveau sur des terrains engagés il demeure plus serein. Usant d’une plume agile parfois choc et d’un phrasé plus canalisé mais pas moins percutant. Le tout sur des sonorités épurées mais nécessaires pour laisser le public se focaliser en profondeur sur l’essence même des messages transmis. Oscillant entre pop et hip-hop avec quelques touches de soul et même d’électro. Un slameur exaltant loin des codes, toujours avec une certaine mélancolie nourri par le désir d’être écouté et compris. Si dans « Désolé Caroline », le chanteur s’excuse auprès d’une amie pour son manque de sentiments amoureux réciproques, il n’a pas à rougir de qui il est. Un être comme les autres « Parfaitement » imparfait. Revendiquant sa différence tout en s’attaquant aux dictats du modèle social vendu au plus grand nombre. « ll n’y aura jamais d’espace, Pour enfant dans mon planning» débite-t-il, fier et heureux de ses choix de vie. « Je crois que je ne suis pas prêt pour obéir à ta Bible » confesse-t-il de jeux de mots piquants dans « A quoi bon » confirmant que non malgré tous les efforts on ne pourra jamais plaire à tout le monde. Se souciant plutôt des dégâts et injustices causés par le manque d’ouverture d’esprit au cours de « La fronde » sonnant comme un cri de détresse et de révolte. Un militant et porte-parole malgré lui pour tous ceux mis dans des cases. Combattant la prétendue normalité définit avec « Freaks » une ode à la différence et à l’acceptation de chacun. Quand « Si seulement » évoque une attirance freinée par une orientation sexuelle différente entre deux êtres. Un jeune encore un brin insouciant mais bel et bien conscient de ce mal qui ronge sa génération. Faisant état de la déprime générale « Neige en août » encore plus de circonstances en cette période délicate. Un chanteur plus mature, mais pas encore prêt à basculer dans l’univers trop sérieux des adultes. Préférant essayer de « Tout vivre » intensément, car nul ne sait de quoi demain est fait.

En bref, avec « À tous les bâtards » Eddy de Pretto confirme toute l’étendue de son talent. Un jeune autrefois trop jugé sur son apparence parvenu à inverser la tendance et même à faire de son histoire un combat collectif.

DROUIN ALICIA