Avec autant d’esprit que d’humour, Eva Rami se confie sur son travail de comédienne et revient en détail sur la genèse de « T’es toi ! », son dernier seule en scène. Hâte de retrouver cette artiste passionnée au Théâtre de la Huchette dès la fin de la pandémie !

Eva Rami - comedienne - artiste - actrice - syma news - theatre - théâtre de la huchette - paris - spectacle - seule en scene - femme - florence yeremian - syma newsFlorence Gopikian Yérémian : « T’es toi ! » est votre second spectacle en tant qu’auteure, comment se déroule votre travail d’écriture et quelles sont vos autres créations ?

Eva Rami : J’ai participé à l’écriture collective de plusieurs spectacles mais j’ai écrit à titre individuel « VOLE ! » et « T’ES TOI ! ». J’écris seule dans un premier temps puis, je fais appel à des personnes proches et de confiance pour avoir un regard extérieur bienveillant mais sans complaisance. La dernière étape de composition s’effectue au moment de passer sur le plateau, en collaboration étroite avec mon metteur en scène Marc Ernotte. En mettant le texte en bouche et en corps, c’est à ce moment là que je procède aux dernières retouches et que je décèle ce qui est digeste ou à retravailler…

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Sa première création en tant qu’auteure : VOLE !

Dans mon premier seule en scène « VOLE ! », il y avait déjà les thèmes de la transmission familiale et du deuil (réel et symbolique). Ce sont deux thèmes récurrents qui me sont chers, qui me bouleversent et que je continue d’explorer dans « T’ES TOI ! ». Ce dernier est en quelque sorte la suite de « VOLE ! ». On y retrouve Elsa, le personnage principal, sa mère fumeuse chronique et sa mémé à l’accent chantant niçois bien prononcé. Le départ de ma grand-mère paternelle dans l’au-delà (La Mémé, dans le spectacle) a été le déclencheur de l’écriture pour « VOLE ! ». Elle est partie, révélant tout un pan de mon histoire. « VOLE ! » est un hommage aux mères, aux messagères protectrices, aux louves. C’est le passage de l’adolescence à l’âge adulte ou comment « apprendre à être » avec ce qu’on nous a donné, pas donné, mal donné, trop ou pas assez … « Apprends à te connaître ma chérie Elsa, tu verras, c’est le travail de toute une vie » comme le dit la mère d’Elsa dans l’une des premières répliques de « VOLE ! ».

Diriez-vous que « T’es toi » est entièrement autobiographique ? Ce parcours de la « comédienne combattante » avec toutes ses galères, c’est vraiment le votre ?

Eva Rami - Syma News - Theatre - Huchette - théâtres parisiens associés - Théâtre de la huchette - T'es toi - Comédienne - Syma News - Paris - spectacle - monologue - actrice - Testoi - Florence YeremianOui, « T’ES TOI ! » est grandement autobiographique. Mais pour des raisons dramaturgiques et artistiques, c’est aussi très romancé. Par exemple, contrairement à la pièce, mon père n’est pas que sanguin et impulsif dans la vie, au même titre que ma mère n’est ni fumeuse chronique, ni snob, ni hystérique…

En revanche, oui c’est un combat proche du mien et il y a bon nombre d’autres galères vécues dont je ne parle pas dans ce spectacle. Cela fait 12 ans que je suis montée à Paris pour être comédienne et sans jouer du violon, c’est encore un parcours du combattant aujourd’hui. Même si certaines portes commencent à s’ouvrir à force de travail acharné, ce métier comme beaucoup d’autres, est une lutte quotidienne. Ce qui permet d’oublier les galères, de faire face aux déceptions, de continuer malgré les sacrifices, c’est la magie d’être sur scène, de transmettre des émotions, de recevoir celles du public et surtout de partager ces moments intenses avec tous ceux qui m’accompagnent.

Beaucoup de comédiens jeunes et moins jeunes se reconnaissent dans le personnage de «T’ES TOI !» à travers les problèmes de casting, de remise en question et d’ascension théâtrale ou cinématographique, c’est donc le parcours obligé pour atteindre la gloire ?

Il n’y a pas de parcours obligé je crois. Chaque parcours est unique. La gloire ne doit surtout pas être un moteur, en tout cas, pas pour moi « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ». Je pense qu’il n’y a pas de règles. Il y a des comédiens qui ne travaillent pas forcément en sortant du Conservatoire. A l’inverse, il y a ceux qui ne font pas de grandes écoles et qui travaillent tout de suite, ceux qui passent des castings pendant des années sans en obtenir aucun et ceux à qui une seule audition suffit pour se faire connaître et enchaîner des films. Il y a ceux qui créent leur compagnie pour faire leur propre spectacle et/ou leur propre film pour ne dépendre de personne. Ceux qui sont à l’aise avec les réseaux sociaux et qui se feront connaître par ce biais-là… Une chose est certaine, c’est qu’il faut faire un maximum avec son cœur et avec passion. Comme le dit avec humour la professeure principale d’interprétation dans « T’ES TOI ! » : « Il va falloir travailler, travailler, travailler encore… ou faire des bonnes pipes ! »

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Avez-vous écrit votre texte dans de petits carnets au fur et à mesure de vos « années théâtre » ou a-t-il jailli d’un trait l’an dernier en tombant du lit ?

Le point de départ de « T’es toi ! » c’est la fantastique Françoise Nahon, comédienne, metteur en scène et directrice du Festival Femmes en scènes. Elle m’a proposée d’inaugurer la 10ième édition de son Festival au Théâtre National de Nice et m’a émis l’idée de faire la suite de « VOLE ! ». C’est ce qui m’a donné la motivation et le cadre pour remettre le pied à l’étrier. J’ai eu 7 mois pour l’écrire, l’apprendre, et le présenter. J’ai également pioché dans mes cahiers d’école, relu mes journaux intimes et je me suis dit qu’après l’image maternelle dans « VOLE ! », il était temps de m’atteler à la figure paternelle sous couvert du parcours professionnel d’Elsa et de son départ du cocon familial vers la capitale, pour réaliser son rêve.

Eva Rami - comedienne - artiste - actrice - syma news - theatre - théâtre de la huchette - paris - spectacle - seule en scene - femme - florence yeremian - syma news Votre performance scénique est incroyable : pas une seconde de pause, des dizaines de personnages, des accents à couper au couteau, un bagou succulent … Vous carburez à quoi ? Hors-scène aussi vous vivez à cent l’heure ?

J’aime sortir et faire la fête mais la plupart du temps quand je travaille, je suis une nonne chiante et obsessionnelle. J’ai fait beaucoup de sport quand j’étais plus jeune et au même titre qu’avant une compétition sportive, je suis très disciplinée, je fais du sport, je ne bois pas d’alcool, j’arrête de fumer, je fais une sieste avant de jouer, je fais attention à ce que je mange… Cela fait 4 ans que je joue deux pièces par jour au festival d’Avignon et je tiens le coup grâce à une hygiène de vie au cordeau.

En période de travail, oui je vis à cent à l’heure car j’ai la chance de jouer régulièrement et avec différents spectacles. Et quand je ne travaille pas, j’ai du mal à calmer la machine interne, j’aimerais que les journées soient plus longues, je suis un oiseau de nuit.

Parmi tous les professeurs de théâtre que vous imitez, y-a-t-il eu une figure plus marquante que les autres ?

Dans ce spectacle j’ai parfois regroupé en un seul personnage des traits de caractère qui appartenaient à plusieurs personnes que j’ai connues. Ce sont des archétypes. J’ai peut-être une affection particulière pour ceux qui se rapprochent le plus de l’original, notamment celui de La Mémé ou celui de Claudette Hublot (professeure authentique du Conservatoire de Nice experte en périnée) pour laquelle j’ai une grande affection et j’ai beaucoup de plaisir à la jouer. L’enseignement précieux de cette femme excentrique et sans complexe, qui appelait un chat un chat, m’a permis de désacraliser mon corps à une période où celui-ci subissait toute sorte de tourments. J’ai pu grâce à elle, apprivoiser et accepter cette métamorphose liée à l’adolescence.

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Dans “T’es toi ! “, Eva Rami se transforme tour à tour en professeur de théâtre, en grand mère provinciale et même en araignée …

L’araignée de votre pièce a-t-elle une symbolique particulière ? Est-ce une allusion au fait qu’elle tisse lentement sa toile comme un comédien et qu’à tout moment un coup de vent peut la détruire ??

Votre métaphore est une jolie possibilité en effet. En ce qui me concerne dans mon spectacle, l’araignée est le symbole de la créativité et de la féminité. En Italie elle est sacrée et on ne doit pas l’écraser. Dans la culture sioux, elle représente la grand-mère, celle qui tisse la toile pour éviter les mauvais rêves. Bien-sûr il y a aussi la référence à la toile qui se tisse lentement, celle du réseau professionnel, des expériences, des formations, de notre propre histoire. Pour l’anecdote, j’ai écrit une partie de cette pièce chez ma tante à la montagne. L’été il y a des grosses araignées dans la salle d’eau et pour accepter leurs présences et ne pas paniquer, je leur parlais : « Oui tu es moche, enfin je te considère moi être humain comme moche mais tu n’y peux rien, je sais c’est injuste, je vais juste me doucher et hop je m’en vais. Tu ne me sautes pas dessus, on cohabite juste l’espace de quelques instants et je te laisse tranquille ».

Quels sont vos acteurs référents ? Sur scène, vous évoquez Elie Kakou, en avez-vous d’autres ?

J’en ai une flopée, ça va être long et difficile de sélectionner, surtout moi qui ai du mal à choisir…

Au cinéma : Jim Carrey, Morgan Freeman, Marion Cotillard, Juliette Binoche, Beatrice Dalle, Yolande Moreau, Noemie Lovovsky, Jacques Gamblin, Pierre Niney, Laure Calamy, Denis Podalydès, Vincent Macaigne…

Au théâtre : Philippe Caubère, James Thierrée, Nicolas Bouchaud, Alex Lutz, Elsa Lepoivre, Norah Krief, Florence Foresti, Blanche Gardin…

Mes amis comédiens : François de Brauer, Xavier Gallais, Candice Bouchet, Estelle Meyer, Juliette Leger, Geoffrey Rouge-Carrassat, mes amis de la Compagnie Nova, ceux de la Compagnie l’Eternel été, ceux du Collectif la Machine et bien d’autres…

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Dans “Nous sommes de ceux qui disent non à l’ombre” mis en scène par Margaux Eskenazi, Eva Rami est aux côtés de Yannick Morzelle, Raphaël Naasz et Christophe Ntaka

En tant que comédienne, quels sont les rôles que vous avez incarnés et qui vous ont marqués ?

Tous les rôles que j’ai incarnés m’ont marquée et chacun pour des raisons différentes. Là comme ça, je pense à mon premier seule en scène « L’inattendu » dans lequel je jouais « Liane » de Fabrice Melquiot mis en scène par Benjamin Migneco (ami comédien et metteur en scène). Un petit théâtre parisien proche de Belleville à Paris nous avait donné l’opportunité de jouer ce spectacle durant un mois et demi. Même si j’ai parfois joué avec 3 personnes dans la salle et malgré un fort endettement, nous étions heureux et fiers de jouer à la capitale, nous les provinciaux, fraichement débarqués de notre province natale. J’ai également un souvenir fort et un plaisir immense d’avoir incarné le rôle de La Duchesse dans le « DonquiXote, l’invincible » adapté par mon ami comédien et metteur en scène Félicien Chauveau. C’était du sur-mesure et je jubilais d’incarner un tel personnage excentrique, proche du jeu masqué : style steampunk, maquillée à la Harley quinn, toujours accompagnée de son homme/lapin et de son bazooka. Elle était gourmande, sadique, perverse, egocentrique, capricieuse, une vraie peste !

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Eva Rami incarne une Duchesse des plus excentriques dans “DonquiXote, l’invincible” mis en scène par Félicien Chauveau

Quelle est l’œuvre qui vous a le plus envoutée au théâtre an tant que spectatrice et pourquoi ?

Si je me focalise sur le mot « envoûtée », je pense d’emblée à « Accidents » un spectacle de marionnettes de Martial Anton. C’était une des premières années où j’allais au Festival d’Avignon. Je me rappelle tellement fort de ce spectacle. J’ai ris et pleuré à chaudes larmes. C’était magnifique. Les comédiens donnaient gestes et voix de façon visible ou invisible avec leurs belles et émouvantes marionnettes de tailles et d’âges différents. Des scènes drôles et poétiques mêlant absurde et burlesque se succédaient pour évoquer la solitude, la vieillesse, la mort, le deuil… Je m’en rappellerais toute ma vie, je ballotais d’une émotion à une autre avec une intensité semblable à celle que pourrait éprouver un petit enfant.

Qu’est-ce que vous préférez dans votre métier ?

Comme je l’ai déjà dit, c’est d’être sur scène mais c’est surtout le travail effectué en amont : on passe énormément de temps à préparer et monter un spectacle. C’est un travail d’équipe (comédiens, techniciens, costumiers, scénographe, metteur en scène…) qui nous amène à vivre intensément ensemble durant une période plus ou moins longue. On partage nos vies, on transcende ensemble, on rit, on pleure, on se sublime. J’aime ce métier parce que je me retrouve comme dans une famille nombreuse (étant fille unique) ou en colo, ou à l’école, en meute, en troupe…

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Pour Eva Rami, le théâtre est un merveilleux travail d’équipe. La voici dans les loges après la représentation du “Cercle de Craie ” avec Geoffrey Rouge-Carrassat, Emmanuel Besnault, Yuriy Zavalnyouk, Sarah Brannens, et Manuel Le Velly.

Quels conseils donneriez-vous à vos jeunes acolytes pour qu’ils persévèrent et s’épanouissent dans cette profession ?

Je ne sais pas quelle est la recette magique pour persévérer et s’épanouir mais je pense qu’il faut avant tout être bien entouré et apprendre à développer son instinct. C’est un métier où l’on peut côtoyer beaucoup de frustration, de jalousie, de déceptions mais je crois qu’il faut toujours garder à l’esprit pourquoi on a choisi de faire du théâtre. En tant que perfectionniste maladive j’aime aller au bout des choses mais quand le doute m’assaille, je m’accroche aux retours chaleureux du public et de mes proches. Je m’épanouis au contact de personnes qui ont un savoir-faire et un savoir-être dont je me nourris et m’enrichis. Si l’on s’entoure bien, l’apprentissage et l’épanouissement peuvent être infinis.

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‘Le cercle de craie” mis en scène par Emmanuel Besnault avec Yuriy Zavalnyouk, Geoffrey Rouge-Carrassat et Eva Rami.

Y-a-t-il un autre spectacle que vous aimeriez conseiller à nos lecteurs ?

Il y en aurait eu tellement…  « V.i.t.r.o.l » au Théâtre de La Tempête, « Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty » au petit Montparnasse, « Voyage au bout de la nuit » au Lucernaire, « Guten tag Madame Merkel » au théâtre de la Flèche et j’en oublie… Mais pour l’instant le temps est suspendu et les théâtres veillent…

Comment passez-vous cette période creuse due à la pandémie ? En profitez-vous pour cogiter à votre prochaine pièce ?

Eva Rami - comedienne - artiste - actrice - syma news - theatre - théâtre de la huchette - paris - spectacle - seule en scene - femme - florence yeremian - syma newsEt bien, j’apprivoise cette nouvelle temporalité. Je lis, j’écris sans but précis, je fais du sport comme je peux, je médite, je regarde des films, j’écoute des podcasts, je trie, je range, je téléphone un peu, beaucoup, je fais des choses inutiles et sans intérêt aussi… Oui, je réfléchis à un futur spectacle depuis quelques temps déjà mais ce que nous vivons aujourd’hui avec ce virus, me questionne et m’oriente sur d’autres thèmes que ceux auxquels je pensais m’atteler, je vais voir si cette sensation persiste. Je suis en mutation moi aussi, tout cela est en gestation…

En attendant la fin de notre confinement national, auriez-vous un livre qui vous tient à cœur à conseiller à nos internautes ?

Dans-la-foret-jean-hegland-book-eva-rami-syma-news-yeremian-Oui je vous conseille vivement l’ouvrage qu’un grand ami m’a prêté tout récemment avant le confinement et qui est fort à propos avec la situation que nous vivons : Jean Hegland, « Dans la forêt ». La civilisation s’effondre, deux jeunes sœurs vivent seules dans la forêt, elles vont devoir apprendre à grandir autrement, à se battre et à faire confiance à la forêt qui les entoure et qui est remplie d’inépuisables richesses…

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Florence Gopikian Yérémian

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Pour en savoir plus sur le spectacle “T’es Toi !”  : “Eva Rami nous offre un cours de théâtre magistral”

Photos : ©AlainGontier, ©Lot et ©GaelleSimon

 

Florence Gopikian Yérémian est journaliste culturelle. Rédactrice auprès de Muséart, Paris Capitale, L’Oeil ou le BSC News, elle couvre l’actualité parisienne depuis plus de vingt ans. Historienne d’Art de formation (Paris Sorbonne & Harvard University), correspondante en Suisse et à Moscou, elle a progressivement étendu ses chroniques au septième art, à la musique et au monde du théâtre. Passionnée par la scène et la vie artistique, elle possède à son actif plus de 10000 articles et interviews.