Un homme qui boit rêve toujours d’un homme qui écoute

La salle du 13e Art propose une nouvelle création théâtrale autour des chroniques de Kamel Daoud. Réalisée par Denise Chalem, cette pièce met en scène deux hommes séparés par la Méditerranée qui se questionnent sur l’évolution de nos sociétés. D’un côté, il y a un vieil écrivain algérien habité par le verbe, de l’autre un musicien français en devenir. Entre Oran et Paris, entre islam et chrétienté, ils entament un dialogue musico-amical sur l’importance de la laïcité.

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Ce sont les chroniques du journaliste Kamel Daoud qui ont inspiré la pièce de Denise Chalem

La création de Denise Chalem s’inspire essentiellement des chroniques journalistiques de Kamel Daoud publiées dans le Point. Impressionnée par les analyses politiques de l’écrivain – Prix Goncourt 2015 du premier roman -, elle a voulu faire entendre les réflexions de ce libre penseur et retracer sur scène son parcours, depuis l’enfance.

Afin de donner voix à ces écrits, elle a placé Kamel Daoud face au personnage de Pierre, un musicien en devenir qui interroge son ainé. À travers leurs échanges abreuvés de vin et de méchouia, ces deux amis se taquinent, évoquent la place de la femme, questionnent les religions monothéistes et tentent de combattre tout extrémisme.

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L’amitié est palpable entre le comédien Thibault de Montalembert et Ibrahim Maalouf

C’est à Ibrahim Maalouf que revient le rôle du jeune musicien. Alternant allègrement piano et trompette, on regrette que ses répliques soient si creuses face à celles trop étoffées du personnage de Kamel Daoud interprété par Thibault de Montalembert.

Bien qu’Ibrahim Maalouf se lance pour la première fois dans la comédie, on aurait souhaité que son texte soit plus dense afin que l’artiste puisse lui donner davantage de consistance. Son interprétation est, certes, sympathique et enjouée mais elle est restreinte par manque d’argumentation. Denise Chalem a, hélas, trop axé sa pièce sur les propos de l’écrivain au détriment des considérations du musicien. Il en découle une sorte de dialogue déséquilibré entre un adulte philosophe qui ne cesse de déblatérer (Thibault de Montalembert) et un petit garçon qui pose des questions sans aucune logique (Ibrahim Maalouf).

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Le dialogue entre le jeune musicien et le romancier analyse le poids des religions en faisant des digressions sur le Covid ou la cancel culture.

Par-delà ce duo inégal où les protagonistes se parlent sans vraiment converser, on s’attriste également du manque de construction de la pièce. Denise Chalem a opté pour une œuvre à tiroirs mais son écriture chaotique l’a maladroitement transformée en fourre-tout. Au lieu de se concentrer sur l’intéressante thématique de la laïcité à travers la critique des extrémismes religieux et du laxisme des islamo-gauchiste, sa mise en scène dérive sans transition sur la cancel culture, les années Covid ou même l’usage du Selfie ! Quel intérêt a l’autrice à vouloir introduire toutes ces pseudo réflexions ? Quel sens y-a-t-il également à placer ses deux protagonistes en Visio sur des écrans géants au lieu de les laisser tranquillement bavarder en tête-à-tête au milieu de la scène ?

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La comédienne Sarah-Jane Sauvegrain interprète avec vigueur des femmes rebelles ou révoltées et nous interroge sur la place de la femme au sein de la société contemporaine

Au cœur de ce spectacle désordonné aux convictions tièdes, les apparitions insolites de Sarah-Jane Sauvegrain auraient pu être les bienvenues mais elles ne font, elles aussi, qu’accentuer la confusion des spectateurs. Bien que la comédienne nous offre une prestation aussi physique que charismatique, ses interludes de femmes rebelles ou d’épouses révoltées sont en effet si décousus que nos esprits s’égarent de nouveau.

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Ibrahim Maalouf, Thibault de Montalembert et Sarah-Jane Sauvegrain lors de la première de la pièce au 13e Art (©Florence Gopikian Yérémian)

Malgré l’amitié palpable qui soude les comédiens, malgré les chants joyeux interprétés en kabyle par Thibault de Montalembert, malgré l’énergie impressionnante de Sarah-Jane Sauvegrain et malgré toute la bonne volonté et les airs de trompette d’Ibrahim Maalouf, la pièce de Denise Chalem demeure d’une incohérence sidérante qui erre entre religion et désir sans conclure, hélas, sur aucun parti pris.

Florence Gopikian Yérémian – florence.yeremian@symanews.fr

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Une pièce écrite et mise en scène par Denise Chalem

Avec Ibrahim Maalouf, Thibault de Montalembert et Sarah-Jane Sauvegrain

Le 13e Art
Centre Commercial Italie 2
30, place d’Italie – Paris 13

Jusqu’au 31 mars 2024

Photos : ©Fabienne Rappeneau

Florence Gopikian Yérémian est journaliste culturelle. Rédactrice auprès de Muséart, Paris Capitale, L’Oeil ou le BSC News, elle couvre l’actualité parisienne depuis plus de vingt ans. Historienne d’Art de formation (Paris Sorbonne & Harvard University), correspondante en Suisse et à Moscou, elle a progressivement étendu ses chroniques au septième art, à la musique et au monde du théâtre. Passionnée par la scène et la vie artistique, elle possède à son actif plus de 10000 articles et interviews.