Et leurs cerveaux qui dansent : Présentation de la pièce aux Plateaux Sauvages – Mars 2021

D’un côté il y a Séphora, de l’autre Vanessa. Leurs enfants sont ce qu’on appelle des « Zèbres » dans le jargon médical de la psychologie : précoces, hpi, doués, surdoués, dyspraxiques, hypersensibles… ils présentent tous des troubles neurologiques propices à l’échec scolaire et frôlent régulièrement le suicide en dépit de leur jeune âge.

À la fois mères et comédiennes, Séphora Haymann et Vanessa Bettane ont transposé à la scène leurs ressentis respectifs face à cette singulière progéniture qu’elles n’attendaient pas.

À cheval entre l’humour et l’auto-analyse, leur spectacle parle du moment où tout a basculé dans leurs existences et dresse un bilan de leurs expériences personnelles. Entre les diagnostics cérébraux, les examens psychologiques ou le continuel défilé des médecins, ces mères-courage dissèquent les étapes d’acceptation ou de déni de ces enfants si « différents ».

Evoluant dans un dispositif scénique fait d’une table d’analyse et d’un isoloir, on les voit sombrer, s’oublier, se relever, se mentir, partir en quête du « perfect child », affronter un quotidien trop complexe, se prostrer, lutter et enfin transcender cette souffrance pour se libérer et accepter une réalité qui peut malgré tout être la norme. Car qui décide de la normalité au sein de notre société ? Qui définit les différences et s’autorise à classer les humains dans des cases ?

Malgré la dramaturgie évidente d’un tel sujet, les deux comédiennes parviennent à nous transporter avec légèreté dans leur univers en faisant preuve d’esprit, d’autodérision et même de poésie. Face à la figure douce et sereine de Séphora, Vanessa joue d’une carte sombre et nerveuse qui contrebalance parfaitement le caractère de sa partenaire. Ensemble, elles nous nous offrent ainsi deux chemins de pensées en miroir sans poser aucun jugement. À vous de construire le vôtre…

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Séphora Haymann et Vanessa Bettane mettent en scène la quête du “Perfect Child”

Afin d’en savoir davantage sur Séphora Haymann et Vanessa Bettane, SYMA News est parti à la rencontre de ces comédiennes. Interview à 2 voix :

Florence Gopikian Yérémian : Il y a une vraie complicité au sein de votre spectacle. Comment vous êtes-vous rencontrées ?

Vanessa Bettane - mare nostrum - syma - yeremian florence
Vanessa Bettane

Vanessa Bettane : On s’est connues il y a une douzaine d’années à travers des performances que l’on faisait sur les violences faites aux femmes. A l’époque, on tournait dans toute l’Europe sous la direction de Valérie Thomas et de sa compagnie Mare Nostrum.

C’est devenue la vôtre ?

Séphora Haymann : On s’y est insérées en devenant les directrices artistiques et théâtrales. À présent, toutes les pièces que nous concevons sont hébergées par Mare Nostrum.

Vous en êtes déjà à votre troisième création scénique ?

Sephora Haymann - comedienne - syma - florence yeremian
Séphora Haymann

Vanessa : Quand on s’est rencontrées Séphora et moi, je voulais mettre en avant les figures de Sylvia Plath et de Marilyn Monroe car je trouvais que ces deux protagonistes pouvaient se rassembler. On a commencé à créer une pièce de manière intuitive et inconsciemment on a eu envie de se mettre plus au centre du travail en parlant de nous. « A Better me » est né.

Séphora : Ce premier spectacle se rapproche du théâtre documentaire ou de ce qu’on appelle une “écriture du réel”. Il parle de « comment être femme et être mère » et il raconte « quelle charge mentale implique l’arrivée d’un enfant ». On est parties de nos expériences personnelles pour rayonner sur le collectif. L’idée n’était pas de créer à tout prix une forme d’universalité, mais plutôt de parler de ce qu’on connaît le mieux à travers une volonté aussi bien artistique que politique.

Vous avez enchainé avec « Maintenant que nous sommes debout » ?

theatre - bettane - haymann - mare nostrumVanessa : Cette seconde pièce était la suite logique de la première que nous avions terminée « debout » et face au public de façon symbolique. Après un travail sur nous, on s’est penchées sur nos ancêtres. La maman de Séphora est originaire du Maroc et mon père est originaire d’Algérie. On s’est rendues compte l’une et l’autre qu’on avait très peu d’informations sur nos parents. Du coup, on est allées enquêter pour comprendre ce que signifiait « être un enfant de l’exil » et porter une culture que l’on ne connaît pas.

Avec le troisième volet de votre triptyque théâtral (Et leurs cerveaux qui dansent), vous parlez à présent de vos enfants.

Séphora : Absolument. Chaque spectacle emmène le suivant et cela se fait dans une continuité dramaturgique mais aussi dans une continuité de réalité de vie. Face à notre quotidien et ses problématiques, on agence des idées, des images et on les met en scène. Cette troisième pièce (Et leurs cerveaux qui dansent) n’est pas une fiction : nos deux enfants ont chacun des spécificités neurologiques, ce sont des « enfants zèbres » difficilement apprivoisables. On est parties de leurs différences et de nos ressentis pour s’interroger sur le monde et les normes sociales.

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Les comédiennes évoluent dans l’isoloir de leur spectacle “Et leurs cerveaux qui dansent”

Comment avez vous construit cette pièce ?

Vanessa : On s’est basées sur des matériaux réels : des interviews cliniques, des rapports d’école, des documents médicaux, des scènes du quotidien. On a tout réécrit en déclinant un fil de pensées et de sensations qui se sont lentement complétées pour aboutir à la pièce. Séphora et moi travaillons assez lentement : l’écriture de « Et leurs cerveaux qui dansent » a duré plus de deux ans et demi.

Est-ce qu’il y a une part cathartique dans votre oeuvre ?

Vanessa : Absolument. Cette part cathartique est d’ailleurs énorme. Le fait de transposer un sujet aussi difficile en une pièce nous a aidées. Les problématiques liées aux troubles neurologiques de nos enfants sont devenues plus douces, plus communes, plus acceptables. Plus familières également car durant la construction de notre spectacle, on a brassé cette matière dans tous les sens et on se l’ai appropriée. L’handicap de nos enfants n’est plus un danger, on est parvenues à instaurer une distance en le mettant en scène. On l’a désacralisé et je pense qu’au fil des représentations publiques, nous allons pouvoir encore plus nous détacher de sa dramaturgie.

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L’oiseau est certainement une métaphore de l’enfant ailé et prodige que la société empêche de voler…

Pensez-vous que ce spectacle va pouvoir aider d’autres parents ?

On n’a pas encore pu le jouer en public à cause de la Covid. Les représentations étaient prévues du 15 au 27 mars aux Plateaux Sauvages mais pour l’instant, elles sont en suspend. Le peu de personnes qui ont pu voir la pièce ont néanmoins perçu la raisonnance de cette oeuvre : qu’ils soient parents d’enfants zèbres ou pas, ils réalisent que la question de la différence n’est pas spécifique à des problématiques d’enfants médicalisés. On est tous différents quelque part et tous en proie à la marche de ce monde qui est souvent absurde.

Avez-vous un message spécifique à transmettre avec cette oeuvre ?

Séphora : Le sujet du spectacle ce ne sont pas les troubles neurologiques de nos enfants. C’est plutôt : Comment on deal avec ça ? Quelles en sont les conséquences ? Qu’est-ce-que le monde attend de nos enfants ? Qu’attend-il de nous ? Que veut dire la norme ? A-t-on le droit d’être singulier ? Et surtout, comment vivre avec les conséquences d’un enfant singulier ?

Vanessa : Notre théâtre est politique sans être militant. Grâce à la scène, aux mots, aux sons, aux images et aux corps, on peut raconter des choses du monde dans lequel on vit.  Celà nous permet à chaque spectacle de transmettre nos idées pour tenter de lutter contre les inégalités, les dominations et les absurdités du monde.

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Peut-on dire que vous êtes des Mères Courage ?

Séphora et Vanessa : Non. Le fait d’avoir des enfants avec des troubles neurologiques ne fait pas de nous des mères plus méritantes. On fait avec ce qui est, on deal avec le réel, on s’est habituée à celà. Et puis, toutes les mères sont des mères courages ! 😉

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Compagnie Mare Nostrum
Vanessa Bettane & Sephora Haymann

Les Plateaux sauvages
Fabrique artistique et culturelle de la ville de Paris
5 rue des Plâtrières – Paris 20e

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Le spectacle devrait être reprogrammé dès la fin du confinement…

©Pauline Le Goff

 

Florence Gopikian Yérémian est journaliste culturelle. Rédactrice auprès de Muséart, Paris Capitale, L’Oeil ou le BSC News, elle couvre l’actualité parisienne depuis plus de vingt ans. Historienne d’Art de formation (Paris Sorbonne & Harvard University), correspondante en Suisse et à Moscou, elle a progressivement étendu ses chroniques au septième art, à la musique et au monde du théâtre. Passionnée par la scène et la vie artistique, elle possède à son actif plus de 10000 articles et interviews.