En 2014, Élodie Menant avait mis en scène La Peur de Stefan Zweig. Après une nomination aux Molières et plus de 500 représentations, la demoiselle est de retour avec un spectacle musical consacré à Arletty. Rencontre avec une comédienne pleine d’audace et de pétulance. 

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Élodie Menant : J’aspire à être les quatre car j’ai une appétence pour tout. Là où j’ai le plus travaillé cependant c’est en tant que comédienne, mais j’aime autant chanter ou écrire. Concernant la mise en scène, je n’en ai faite qu’une pour l’instant, c’est La peur de Stefan Zweig. Si je trouve un texte qui me plait, j’y reviendrai mais je devrai faire un choix car je ne veux pas jouer et mettre en scène en même temps.

Vu vos multiples projets, avez-vous déjà créé votre propre compagnie ?

Oui, c’est la compagnie Carinae. Son nom est celui d’une étoile du ciel austral. C’est aussi un clin d’œil à ma passion pour l’astronomie.

Quelles sont les trois œuvres phares de votre jeune parcours ?

Elodie Menant - syma news - florence yeremian - atmosphere - artiste - comedienne - theatre - arletty - est-cequej'ai une gueule d'arletty - petit montparnasse - sepctacle - musical - music hall - comedie musicale - show - danse - chant - johanna boye - eric bu - paris - interview -En premier, je dirais La pitié dangereuse de Stefan Zweig que j’ai créée justement avec ma troupe. J’ai ensuite été à l’origine du spectacle Après une si longue nuit mis en scène par Laurent Natrella de la Comédie Française et dans lequel je jouais. Et puis, il y a bien sûr eu La Peur, ma première mise en scène.

Comment ces œuvres vous définissent-elles en tant qu’artiste ? Pourquoi ces choix ?

Je ne travaille qu’autour de sujets qui me touchent, me nourrissent et m’interrogent. A chaque fois que je me lance dans une nouvelle aventure théâtrale, elle comporte des questionnement sous-jacents relatifs à nos limites et nos responsabilités. La pièce sur Arletty pose par exemple les limites de sa liberté, Après une si longue nuit tourne autour de la fraternité et de la reconstruction de soi face à un traumatisme, quant à La pitié dangereuse, elle nous fait réfléchir sur la pitié et mesurer le moment où un tel sentiment à l’égard d’autrui peut se retourner contre nous. J’aime analyser la façon dont chacun doit se comporter afin d’atteindre son propre épanouissement dans le respect des autres.

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Élodie Menant dans La pitié dangereuse de Stefan Zweig

Pourquoi avoir choisi le personnage d’Arletty pour votre nouveau spectacle, Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty ?

Quand on s’est rencontré avec Éric Bu, on voulait écrire quelque chose en commun. J’avais fait les cours Florent et l’on avait étudié tous les films des années 50 avec Danielle Darrieux, Jean Gabin et Arletty. L’une de mes amies avait dû interpréter la partition d’« Atmosphère » dans Hôtel du nord et cette scène m’est revenue en tête. Éric a eu exactement la même idée et lorsque l’on s’est rappelés, au même moment, on a dit « Arletty ? » . A partir de là, nous nous sommes plongés dans ses biographies pour voir si son personnage était intéressant à traiter et il s’est avéré que le parcours d’Arletty était vraiment foisonnant.

Qu’incarne-t-elle à vos yeux ? Est-ce plutôt la « belle gueule d’atmosphère » ou la poétique figure de Garance dans Les Enfants du paradis ?

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Quels ont-été les challenges de votre spectacle ?

Ce musical est un énorme défi personnel car Arletty n’est pas un personnage de fiction : elle a vraiment existé et tout le monde connait ses films et ses interviews. Je me devais donc d’être crédible en l’interprétant car je savais qu’on m’attendait au tournant. Il ne fallait ni en faire trop, ni trop peu pour éviter la catastrophe. J’ai donc eu une grosse pression par rapport à la composition du rôle. Pour le reste, la pièce s’est faite avec une belle fluidité même si je me suis blessée pendant les répétitions et que le comédien Marc Pistolesi a eu une rupture des ligaments croisés. On a donc été obligé de faire alterner nos répétitions avec des dizaines de séances chez les kinésithérapeutes !

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Joli pas de deux entre Cédric Revollon et Élodie Menant

Les trois comédiens qui vous accompagnent dansent aussi bien qu’ils chantent, font-ils partie de votre compagnie ?

Tout à fait, et ils appartiennent tous à l’univers du spectacle musical. Cédric Revollon a été nommé aux trophées de la comédie musicale pour Le livre de la jungle, Céline Esperin a joué dans le Cabaret Liberté de Charlotte Rondelet, quant à Marc Pistolesi, il a mis en scène Ivo Livi en 2017 pour lequel il a reçu le Molière du meilleur spectacle musical. La troupe d’Arletty s’est formée par auditions mais c’est une équipe parfaite car on a tous la même appétence y compris notre metteuse en scène, Johanna Boyé.

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Un quatuor virevoltant qui rend hommage à Arletty : Cédric Revollon, Élodie Menant, Marc Pistolesi et Céline Espérin

Votre mise en scène repose justement sur un travail chorégraphique d’une très belle fluidité. A qui avez-vous fait appel pour synchroniser toutes ces danses et ces changements de tableaux ?

À un excellent chorégraphe qui s’appelle Johan Nus. Il a récemment travaillé sur Les Parapluies de Cherbourg pour le PBA ainsi que sur Tom Sawyer au Théâtre Mogador. C’est un artiste très subtil qui travaille avec de grands danseurs mais sait aussi enseigner l’art de la danse à des comédiens. Ce n’est pas évident car ça prend plus de temps, mais Johan est d’une patience infinie et d’une gentillesse incroyable.

Comment avez-vous travaillé l’accent d’Arletty sans tomber dans la caricature ?

J’ai regardé énormément de films et d’interviews. Pour moi cet accent était une sorte d’évidence car je fais souvent des doublages où je module ma voix, notamment pour des dessins animés. Entre les voix de sorcière, de petit garçon ou de jeune demoiselle, j’ai acquis une certaine habitude et j’adore ça. De plus, je suis des cours de chant qui m’apprennent à mieux utiliser mon instrument vocal et me permettent de bien placer les sons. Ce qui m’intéressait surtout avec Arletty, ce n’était pas seulement son accent, je voulais aussi comprendre son énergie. Pour cela, j’ai beaucoup observé sa gestuelle : comment utilisait-elle ses bras, ses mains, son corps. J’ai aussi capté l’immédiateté de ses réparties, toujours du tac au tac et d’une efficacité remarquable. Cette énergie m’a vraiment permis de rendre l’esprit d’Arletty et d’être au plus prêt d’elle sans tomber dans une caricature. Au final, j’ai vraiment l’impression que la protagoniste de mon spectacle est un mélange entre ma personnalité et ce que j’ai cru saisir d’elle.

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Céline Espérin et Élodie Menant dans : “Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty?”

Gardez-vous sa gouaille en quittant la scène et en rentrant chez vous ?

Parfois, j’ai sa gouaille qui ressort, c’est vrai ! Il y a même quelques fois où des intonations d’Arletty ont surgi dans une autre pièce ou en plein doublage ! Là je me suis dit : « Oh non ! Ce n’est pas possible ! Repars Arletty, repars ! Ce n’est pas maintenant que je te convie ! » Ce type de situation est assez drôle…

Comment allez-vous passer cette période creuse due à la pandémie ? Déjà des projets ?

Je travaille en effet sur un autre projet avec Johanna Boyé. C’est une pièce que j’ai écrite et qui se nomme Je ne cours pas, je vole. Elle suit le parcours d’une jeune fille qui court le 800 mètres et va participer aux jeux olympiques. Le spectacle est prévu pour 2021 avec une équipe de 6 comédiens.

Dès que les théâtres rouvriront, avez-vous un autre spectacle ou une pièce à recommander à nos lecteurs ?

Eva Rami - Syma News - Theatre - Huchette - théâtres parisiens associés - Théâtre de la huchette - T'es toi - Comédienne - Syma News - Paris - spectacle - monologue - actrice - Testoi - Florence YeremianLe spectacle Marie des Poules qui se jouait juste avant nous au Petit Montparnasse est excellent. Je conseille également le seul-en-scene T’es toi d’Eva Rami qui se produit à la Huchette. Cette comédienne est exceptionnelle ! Et puis, il faut voir aussi Franck Desmedt avec son monologue sur Céline et son Voyage au bout de la nuit. C’est un comédien que j’adore et qui est formidable. Il a d’ailleurs eu le Molière du meilleur second rôle pour son interprétation dans Adieu Monsieur Haffmann.

En attendant la fin de notre confinement national, auriez-vous un livre qui vous tient à cœur à conseiller à nos internautes ?

J’adore les nouvelles de Stefan Zweig mais aussi Bahia de tous les saints écrit par l’écrivain brésilien Jorge Amado. Egalement Nocento le pianiste  d’Alessandro Baricco qui raconte le parcours pianistique d’un enfant abandonné sur un paquebot qui va être adopté par l’équipage.

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https://www.elodiemenant.fr/

Pour découvrir l’article de SYMA News sur la pièce “Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty ? 

En attendant que les spectacles reprennent !!! 

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Florence Gopikian Yérémian

Florence Gopikian Yérémian est journaliste culturelle. Rédactrice auprès de Muséart, Paris Capitale, L’Oeil ou le BSC News, elle couvre l’actualité parisienne depuis plus de vingt ans. Historienne d’Art de formation (Paris Sorbonne & Harvard University), correspondante en Suisse et à Moscou, elle a progressivement étendu ses chroniques au septième art, à la musique et au monde du théâtre. Passionnée par la scène et la vie artistique, elle possède à son actif plus de 10000 articles et interviews.