Pio est un jeune Rom vivant dans le quartier de Ciambra en Calabre. Le jour où son père et son grand frère sont mis en prison, il décide instinctivement de subvenir aux moyens de sa famille. Fier et caractériel, il se lance alors dans des rackets et des vols de voitures qui vont l’entraîner vers des chemins de traverse inimaginables pour un enfant de son âge…

Le film de Jonas Carpignano a été tourné en Italie avec la participation de la communauté rom de Ciambra. La majorité des protagonistes ne sont pas des acteurs, ils appartiennent au clan Amato et ont accepté fièrement de mettre en scène leur quotidien. Au fil de ce long métrage, l’on croise ainsi toute la famille : la mère Amato, le vieux grand-père, les petits cousins, les tantes et bien sûr, Pio, le héros de l’histoire.

Cet adolescent possède un beau caractère partagé entre la naïveté fragile d’un enfant et la maturité d’un adulte. À l’exemple de son personnage, il cherche sa place et son identité tout en paradant comme un jeune coq. Pio Amato n’est pas un acteur professionnel et c’est justement ce qui fait son charme : du début à la fin du film il ne joue pas son rôle, il l’est vraiment ! Clope au bec, intrépide et le regard méfiant, ce gamin possède autant de morgue scénique que de maladresse et c’est cela qui rend sa prestation forte et réaliste.

À travers le parcours de Pio, le réalisateur met en lumière le quotidien de la communauté rom avec ses joies, ses peines et sa cruauté. Le sujet est grave, violent mais aussi chargé d’amour, de solidarité et d’entraide familiale. Parmi les scènes de castagne, de beuverie ou de mélancolie, la caméra de Jonas Carpignano sait se faire aussi vive que silencieuse. S’immisçant dans les bidonvilles des Zingueras, elle les explore avec complaisance, se mêle quotidiennement à leur chahut et tente de comprendre la hiérarchie et le code d’honneur qui régissent ces gens du voyage. Filmant au plus près des corps et des visages, le cinéaste nous livre un regard brut et rugueux sur ces gitans qui n’arrêtent pas une seconde de parler, de mentir ou de se disputer. Il étend aussi son questionnement sociétal sur des mafieux ou des migrants venus d’Afrique parmi lesquels figure le personnage apaisant d’Ayiva (Koudous Seihon), un clandestin venu du Burkina-Faso.

A Ciambra est la troisième réalisation cinématographique de Jonas Carpignano. Après Mediterranea sorti en 2015, ce nouvel opus révèle un véritable langage visuel et semble sceller la patine du réalisateur italo-américain : son image est corrosive, sa dynamique frénétique, quant à sa bande-son, elle frôle la saturation au niveau des décibels ! Malgré cette atmosphère franche et fiévreuse, l’on a du mal à adhérer pleinement à cette partition car elle ne possède ni l’argumentation d’un documentaire ni la force scénaristique d’une fiction.

On attend donc Jonas au prochain film…

À Ciambra
Un film de Jonas Carpignano
Coproduit par Martin Scorsese
Italie – 2017 – 1h58
En salles le 20 septembre 2017

Florence Gopikian Yérémian est journaliste culturelle. Rédactrice auprès de Muséart, Paris Capitale, L’Oeil ou le BSC News, elle couvre l’actualité parisienne depuis plus de vingt ans. Historienne d’Art de formation (Paris Sorbonne & Harvard University), correspondante en Suisse et à Moscou, elle a progressivement étendu ses chroniques au septième art, à la musique et au monde du théâtre. Passionnée par la scène et la vie artistique, elle possède à son actif plus de 10000 articles et interviews.