Let’s Get Lost : portrait en clair-obscur de Chet Baker
Let’s Get Lost est un documentaire musical sur la vie sinueuse du trompettiste Chet Baker. Réalisé par Bruce Weber en 1988, ce long-métrage revient cet été sur les écrans pour le plus grand bonheur des fans de cool jazz et des amateurs de films alternatifs.
Premiers pas d’un jazzman blanc
Sorti quatre mois après la mort de Chet Baker, Let’s Get Lost prend place essentiellement dans les années 50 et s’étire jusqu’en 1987. D’Oklahoma à New York en passant par l’Europe, on y voit le jazzman sillonner les routes, enchainer les conquêtes et tomber progressivement dans les affres de la drogue.
Personnage complexe et fascinant, Chet Baker a beaucoup apporté à l’univers du jazz grâce à l’approche légère, sensuelle et délicate de son jeu. Selon la légende, le grand Charlie Parker aurait dit en parlant de lui à Miles Davis et Dizzy Gillespie « Ce petit blanc va vous donner beaucoup de fil à retordre ».
L’essence tragique de Chet Baker
À travers des images d’archives et des témoignages de ses proches, le réalisateur Bruce Weber nous offre un portrait en clair-obscur de cet immense artiste et de sa déchéance. Grace à son choix photographique pour le noir et blanc, il plonge les spectateurs dans une esthétique hors du temps et nous fait capter avec subtilité l’essence chaotique de Chet.
Dans un pêle-mêle d’interviews désordonnées et d’extraits de concerts, on assiste ainsi à la naissance du Gerry Mulligan Quartet, on s’invite au festival de Jazz de San Remo en 1956 et l’on comprend la contribution de ce trompettiste si singulier au monde du jazz.
Le crooner de ses dames
Parallèlement à son talent incroyable, on savoure le charisme et l’aisance scénique de Chet, on croise ses amis musiciens de la côte californienne, on aperçoit Chris Isaac dans sa prime jeunesse et l’on découvre à quel point Baker était un homme à femmes.
La seconde partie du film est d’ailleurs consacrée à cet étrange « harem » qui ne cesse de se disputer. On se demande réellement pourquoi le réalisateur s’est éternisé sur les chamailleries de ses ex car ces séquences filmées en trop grand nombre n’apportent pas grand-chose au biopic.
Confessions d’un trompettiste héroïnomane
Fort heureusement, la présence récurrente de Chet qui chante et nous parle de son passé avec mélancolie demeure le fil directeur de ce bel hommage cinématographique. De sa voix éraillée et souffreteuse, le junkie trompettiste se souvient de sa gloire d’antan et fait le constat amer de sa décadence et de ses penchants à l’autodestruction.
Les yeux creux et le visage émacié, il fait peine à voir mais ses murmures de crooner associées au son de sa trompette nous plongent dans une nostalgie où l’on se perd volontiers comme nous y incite le titre du film : Let’s Get Lost.
Envie d’un Cabaret d’oiseaux ? Willkommen ! Bienvenue ! Welcome ! Dans la Cage aux Piafs !
Entre Broadway et Burlesque, ce spectacle concocté par de drôles d’oiseaux strasbourgeois vous propose une parenthèse chantante sur des airs de Kurt Weill et son Opéra de Quat’sous.
De Youkali au Bal de Bilbao en passant par Alabama Song, le répertoire de ces volatiles est loufoque et entrainant. Un verre dans la main et une bouteille sous le bras, nos trois loustics se taquinent et égrainent de swingantes ritournelles en aguichant le public.
Ça roucoule, ça glougloute même, et puis ça parle d’amour en se dandinant à loisir sur une petite scène aux allures de bar berlinois.
Au cœur de cette volière à paillettes, La Plume (Matilde Melero) mène le show en mode canaille. Avec son boa rose et sa robe à sequins, ce joli moineau à la voix de velours est loin d’être une bécasse : jouant les aguicheuses avec beaucoup d’humour, elle chante superbement et mène sa revue tambour battant en ajoutant des castagnettes.
À ses côtés, Chantecler (Alexandre Sigrist), fier comme un coq, lui tient la réplique. Engoncé dans son costume de Monsieur Loyal, ce Singing Rooster au plastron orné de duvet bleu joue les joyeux drilles avec un certain panache.
Ces deux tourtereaux chantants sont accompagnés au piano par la douce Zozio (Zoë Schade). Gantée de satin blanc, cette colombe aux doigts délicats passe du tango au jazz en dérivant parfois vers de saints cantiques lorsque l’alcool lui fait défaut !
Car oui, l’ivresse est bien présente dans ce spectacle teinté de strass et de whisky qui se décline en pas moins de trois langues (anglais, français, allemand).
Il faut venir les voir en Alsace pour capter à quel point ces cigognes sont festives et de bon augure !
On espère juste les voir migrer un peu vers Paris d’ici l’été avant qu’ils n’enchainent à l’Espace K de Strasbourg avec leur futur spectacle : RIFIFI!
Avec Mathilde Melero, Alexandre Sigrist et Zoë Schade Musique : Kurt Weill Mise en scène, scénographie et costumes : Mathilde Melero Direction musicale : Zoë Schade Lumières : Clément Debras
Du 18 au 20 avril 2024 à 20h
Espace K 10 rue du Hohwald – Strasbourg Réservations : 0388222203
Après un premier album avec Arthur H et Cœur de Pirate, Marc Lavoine et le compositeur Fabrice Aboulker sortent enfin le musical des Souliers Rouges. Adapté du conte d’Andersen, ce spectacle a été monté aux Folies-Bergères en janvier 2020 avant que le Covid ne le fauche. Le voici de retour ce week-end à la Salle Pleyel avant son départ en tournée dans toute la France.
Un trio pris dans un pacte maudit
La comédie musicale de Marc Lavoine et Fabrice Aboulker raconte l’histoire d’Isabelle, une jeune danseuse rêvant de devenir étoile. Sa rencontre avec Victor, un célèbre chorégraphe de l’Opéra va hélas sceller tristement son destin : sélectionnée pour incarner l’héroïne d’un ballet maudit nommé « Les Souliers Rouges », Isabelle va inconsciemment offrir son âme au diable en choisissant la gloire au détriment de l’Amour…
Adapté du conte d’Andersen, ce musical se déploie sur plusieurs tableaux qui nous font suivre les parcours croisés de trois personnages : il y a Isabelle, douce et rêveuse ; Victor, son ambitieux pygmalion, sans oublier Ben, un jeune journaliste qui tombe très vite sous le charme de la ballerine sans savoir qu’elle ne pourra jamais l’aimer.
Des Souliers Rouges à l’eau de rose
L’intrigue est chantée de bout en bout et nous promène entre la scène de l’Opéra et les toits de Paris. Marc Lavoine a pris le parti de ne pas insérer de dialogues parlés : cela apporte certes une homogénéité musicale au spectacle mais nuit aussi à la trame narrative qui manque parfois de sens.
C’est à Céleste Hauser que revient le rôle d’Isabelle. Beaucoup de pureté et de candeur se dégagent de cette jeune interprète dont le caractère semble correspondre à l’éveil scénique et aux premiers pas de sa protagoniste. Passée cette phase ingénue de l’artiste en devenir, on voudrait voir la transformation de son personnage pris dans les méandres du succès et les affres d’un amour impossible. Hélas, cet aspect sombre et ardent de la belle ballerine n’est pas au rendez-vous : de par son interprétation trop sage, Céleste Hauser ne nous fait ni ressentir l’allégresse de sa célébrité, ni la joie d’être amoureuse de Ben, ni même l’emprise maléfique des souliers rouges qui vont peu à peu l’emmener à l’épuisement et à la mort. C’est dommage car cette approche excessivement fleur bleue bloque cette artiste dans un registre linéaire et bien trop angélique. En prenant plus de risques, Céleste Hauser aurait pu nous offrir un répertoire plus profond, entre ange et démon, douceur et passion.
À ses côtés, Guilhem Valayé prête sa voix grave et suave à Victor, le chorégraphe-pygmalion. Découvert dans The Voice, ce chanteur sombre aux allures de dandy apporte une réelle élégance vocale et visuelle au spectacle. On regrette que son rôle ne soit pas plus ambitieux car Guilhem Valayé pourrait à son tour élargir sa palette : par-delà les aspirations de son personnage, on aimerait, en effet, percevoir plus de nervosité, un soupçon de folie et d’avantage de manipulation à l’égard de « sa » danseuse. Même dans les scènes finales où Isabelle se meurt, on voudrait que son créateur se sente anéanti et plonge dans la démence mais il demeure sobrement dans la retenue.
Le dernier personnage de ce trio est Ben, le journaliste. Ce rôle d’infortuné amoureux est interprété par l’énergique Benjamin Siksou. Révélé au grand public dans l’émission Nouvelle Star de M6, ce chanteur singulier possède une texture vocale intéressante. On apprécie particulièrement son interprétation du texte « Je sais » où le jeune artiste laisse poindre une belle musicalité et d’étonnantes intonations à la Jacques Brel.
Un conte musical pour les enfants
Les duos et trios sont les meilleurs moments de ce spectacle car les chanteurs s’accordent et dialoguent à l’unisson. Il en va autrement de leurs solos respectifs qui se succèdent sans liaisons ni émotions. Aucun personnage n’est vraiment « incarné », ni dans son âme, ni dans son cœur. Pour un « ballet maudit », tout est trop sage et manque de dramaturgie, y compris au niveau des textes, ce qui relègue vraiment l’ensemble de ce musical au répertoire d’un conte pour enfants.
Afin d’agrémenter ce show, Marc Lavoine et Fabrice Aboulker ont habilement opté pour des projections vidéos et mis en scène une troupe de danseurs hétéroclites qui mêlent entrechats, contorsions Hip Hop et danse moderne. Malgré cette dynamique, ces Souliers rouges ne parviennent pas à être écarlates. C’est regrettable car le questionnement de Marc Lavoine est intéressant : dans son adaptation du conte d’Andersen, le chanteur-auteur s’interroge, en effet, sur le sens et le prix de la réussite : faut-il vivre ou ne pas vivre pour sa passion ? Faut-il renoncer au grand amour pour la gloire ? Amour et carrière sont-ils si incompatibles ?
Les jeunes générations peuvent être séduites par cette réactualisation (elles étaient d’ailleurs fort enthousiastes au sein de la Salle Pleyel ce vendredi 8 février). Si, par contre, vous faites partie des anciens et avez encore en tête le film britannique de Michael Powell et Pressburger (The Red Shoes), n’essayez surtout pas de retrouver sa fantasmagorie, son dédale psychologique ou son éblouissante esthétique : Les Souliers Rouges sont à l’opposé.
Ambiance raï ce mercredi 12 juillet à la Fondation Cartier avec le chanteur Sofiane Saidi qui ouvre le Festival Felfel des cultures maghrébines.
À peine rentré d’Oran où il a rempli le mythique Théâtre de verdure, Sofiane Saidi s’est accaparé avec allégresse les jardins de la Fondation Cartier. Surnommé le Prince de la raï 2.0 aux quatre coins du globe, il a « ambiancé les crânes de Ron Mueck » et apporté un souffle chaud à ses fans parisiens jusqu’à la tombée de la nuit.
Dès son premier titre, sa voix rauque a fait se lever tout son public parmi lequel se distinguaient Jack Lang et son épouse.
Accompagné de trois musiciens corses de grand talent, Sofiane Saidi a alterné chants d’amour, vibrations orientales et musique electro. On salue le violoniste Theo Ceccaldi pour son coup d’archet des plus fougueux, son frère Valentin Ceccaldi au violoncelle ainsi que Thibault Frisoni aux commandes de son clavier vintage et de sa boîte à rythmes.
Avec ce concert intime et généreux, Sofiane a lancé le coup d’envoi de la première édition du Festival Felfel qui doit se tenir jusqu’au 14 juillet 2023 sur les sites de la Fondation Cartier et de l’Institut du Monde Arabe.
Entre les concerts, les flashmobs et les bals, vous aurez également l’occasion de découvrir des causeries chantées, des karaoke ainsi que de multiples projections en présence d’acteurs et de réalisateurs émérites (Chronique des années beurs, Bons baisers du Bled…).
Le cinquième album de jazz de Nicola Sergio est une fresque musicale pleine de contrastes qui nous fait naviguer des rives de la Grèce antique aux côtes africaines en passant par le sud de l’Italie.
De par son imagination débordante, ce pianiste calabrais et son talentueux trio nous promènent, en effet, au fil de compositions hétéroclites qui font redécouvrir l’Odyssée d’Ulysse, l’univers de la mafia sicilienne, mais aussi la sempiternelle lutte qui régit le monde des flamants roses et celui des oiseaux marabouts.
Dans une alternance de gravité et d’allégresse, ils invitent les auditeurs à un beau voyage narratif où chacun peut réinterpréter les morceaux selon son ressenti personnel. Laissez-vous donc porter.
Le premier titre de l’album, « Chant de Sirène», est inspiré des histoires d’Ulysse qui symbolisent aux yeux de Nicola Sergio la soif de savoir. Tout en subtilité, il nous immerge au cœur d’une certaine gravité mélancolique où nos pensées se laissent volontiers absorber. Il faut dire que Nicola a la touche narrative : sur son piano, il passe subtilement de l’urgence à l’apaisement et finit par nous installer dans un cocon de jazz bercé par la contrebasse de Mauro Gargano et les douces percussions de Christophe Marguet.
À travers « La prière de l’autre », Nicola Sergio construit un beau dialogue musical avec le saxophone chaud et feutré de son ami Jean-Charles Richard. Dans ce morceau chargé de douceur et d’espoir, le jazzman promeut un dialogue entre les religions qu’il défend avec un optimisme dissipant toute rancoeur et tristesse.
À la fois pianiste et compositeur, Nicola Sergio est un musicien qui possède autant de technicité que de sensibilité. Photo @Marie-Laure Olmi
« Le chemin des deux héros » propose, quant à lui, un cheminement plus rapide au fil du clavier avec une rythmique saccadée qui nous laisse imaginer une course semée d’embûches. Ce morceau est un hommage musical aux deux juges siciliens Giovanni Falcone et Paolo Borsellino, morts assassinés par la mafia. Une critique du mal qui se veut aussi une ode pianistique en faveur de la paix.
Dans un tout autre registre, « Flamants roses » apporte une parenthèse d’allégresse fredonnée au saxo et contrecarrée par la noirceur sinueuse de « Marabout » et l’atmosphère lancinante de « Velvet ».
Le Nicola Sergio Trio : Mauro Gargano, Nicola (au centre) et Christophe Marguet. Photo @Marie-Laure Olmi
Avec « Léonard », Nicola laisse son piano nous raconter l’amour et la tendresse qu’il porte à son premier enfant. À travers ” Children Circle “, il traduit le butinement précipité d’une déambulation urbaine. Quant au dernier titre bonus, il confère une lumière et une sérénité finale à ce très bel album.
Beaucoup de nuances, de couleurs et de délicatesse, qui font de cet opus une création ouverte à toutes les interprétations.
Furie Arménienne est un ouvrage très original écrit par Maxence Smaniotto et François Martin. Avec passion et précision, les deux auteurs y explorent l’évolution de la scène metal d’Arménie et de sa diaspora. De la période soviétique à nos jours, ils font le bilan d’un monde underground à travers une foule d’interviews allant des pionniers du rock arménien aux groupes contemporains en passant par le témoignage du chanteur de Deep Purple, Ian Gillian !
Entre la censure communiste, les guerres, les difficultés matérielles et les enregistrements sous le manteau, ils évoquent avec intelligence les bouleversements géopolitiques et sociaux de ce petit pays en traçant un panorama où l’histoire et la musique se rencontrent. Un travail remarquable.
Le groupe DIVAHAR est l’une des rares formations de metal féminin du Caucase
Florence Gopikian Yérémian : Pourquoi vous êtes-vous penchés sur la scène metal d’Arménie ? C’est un sujet très particulier.
Maxence Smaniotto
Maxence Smaniotto : Je suis fan de metal depuis mon adolescence – j’ai attrapé le virus et aucun vaccin n’a été efficace ! Je ne suis pas d’origine arménienne mais j’ai vécu deux ans à Erevan durant lesquels j’ai découvert la scène locale. Mon premier concert a eu lieu au Puppet Theater en 2014, il y avait des groupes géorgiens, russes et caucasiens. C’est là que j’ai vu Ayas, pionniers du heavy metal arménien depuis l’époque soviétique mais aussi DivahaR, un groupe de black metal formé exclusivement de femmes, ce qui était très rare à l’époque ! Suite à cela, j’ai eu envie de faire fusionner mes deux passions, l’Arménie et le metal.
François Martin
François Martin : J’ai grandi avec un père qui écoutait du Hard et je me suis aiguisé l’oreille sur les vinyles de Judas Priest, Motorhead ou Deep Purple. Je suis passionné par la musique rock en général, j’adore autant des artistes comme Gene Vincent, Eddie Cochran que l’énergie de la scène punk et oï ! Mon grand-père est originaire de la région de Kharpet, j’ai donc voulu explorer du côté de mes origines mais en abordant l’Arménie via un prisme différent de ce que l’on a l’habitude d’entendre à propos de ce pays. Bien sûr, notre ouvrage évoque le thème du génocide ou des guerres de ces trente dernières années mais vus sous un autre angle.
Quelle est la particularité de la scène metal arménienne ?
Sur cette photo d’AYAS prise en 1987, on peut voir la batterie artisanale qu’ils avaient fabriquée à la main !
M.S : C’est la grande question du livre… je voulais comprendre si les Arméniens avaient tenté de construire une scène spécifique, à l’instar de la Norvège, des US, de la Pologne ou de la Mongolie. Je souhaitais également montrer comment les différents styles de musique metal peuvent se marier avec les contextes locaux, donnant des résultats parfois exceptionnels. L’engouement autour du groupe mongol The Hu en est un exemple très éclairant.
Pour l’Arménie, la réponse est donc… oui et non.
Oui, les premiers groupes ont élaboré un style pour obtenir des sonorités orientales englobées de thématiques arméniennes. Beaucoup de groupes contemporains, comme Avarayr, Nairi, Vahagn ou Dogma, continuent d’ailleurs à utiliser des instruments traditionnels et d’anciennes mélodies pour leurs compositions.
Non, car les groupes classiques n’ont pas eu les moyens de s’épanouir : la décomposition de l’URSS, la guerre et le contexte délétère ont annulé les efforts des années 80 et empêché l’émergence d’une scène commune. En outre, la centralisation à Erevan, la capitale, et le nombre restreint de passionnés n’ont pas aidé. Dans ces conditions, c’est un miracle que les musiciens dont nous racontons l’histoire aient pu produire de tels albums !
La religion chrétienne a-t-elle une place prépondérante au sein de la musique metal arménienne ? L’aspect spirituel est-il important ?
L’un des albums d’AVARAYR : A symphony carved in stone
M.S : Ce sujet est abordé en filigrane dans un grand nombre de nos témoignages. Le metal est par essence subversif, raison pour laquelle beaucoup de groupes sont franchement antichrétiens sans pour autant être satanistes, comme le prétend un certain discours très ignorant.
Le metal est souvent une recherche spirituelle où la musique sublime ce ressenti transcendant que le philosophe Rudolf Otto nommait « numineux ». Les Arméniens sont un peuple spirituel et le christianisme est assez présent dans leur musique en raison de l’importance de l’Église. Blood Covenant joue par exemple du « unblack metal », c’est-à-dire du metal extrême chrétien. À l’inverse, Avarayr se sent plus proche du paganisme.
F.M : Même si la majorité des metalleux arméniens se reconnaissent dans le christianisme, certains ont en effet une spiritualité pré-chrétienne “hétanos”, c’est-à-dire proche du neopaganisme arménien.
Considérez-vous que le metal arménien soit nationaliste ? Patriotique ? Qu’il incite les auditeurs au « dardz » (rapatriement) ou à la défense de la mère patrie ?
ADANA PROJECT en concert
M.S : Je dirais plutôt patriotique car le peuple arménien aime son histoire d’un amour charnel. Sa culture est enracinée dans son esprit ce qui fait que les métalleux la respectent et y trouvent une inépuisable source d’inspiration. Par exemple Adana Project joue exclusivement des reprises heavy metal de chansons patriotiques et ils rencontrent un grand succès.
F.M : Ce peuple est définitivement patriote et le « Dardz » n’est pas un fantasme : beaucoup de musiciens sont venus s’installer en Arménie pour vivre ce « rapatriement » à l’exemple de Rudolf Kalousdian (Vahagn / Dagagh) qui a quitté la France, Narek Avetisian (Avarayr) qui vient d’Iran, Hago Boss (guitariste d’Omnius) qui a fui la Syrie, ou bien Yeghig (Deathlam) venu de Beyrouth.
Qu’en est-il des sonorités ? Vous évoquez le tétracorde en parlant de l’échelle musicale utilisée par le groupe Ayas ou les gammes arméniennes propres au groupe Nairi.
M.S : Ce sont là des tentatives pour créer une musique metal au style spécifiquement arménien. D’autres avant eux avaient tenté quelque chose de cet ordre-là, mais dans le rock. Arthur Meschyan a ainsi réalisé le premier rock opéra arménien dans les années 70 en s’inspirant d’airs traditionnels. Dans le cas des groupes de metal extrême, ils utilisent assez souvent des mélodies tirées de chansons folk, ce qui rend leur écoute très agréable. Globalement on pourrait dire que beaucoup de groupes locaux tentent de créer des sonorités entêtantes et « dansantes » en s’inspirant de la tradition musicale arménienne.
La chanteuse de DOGMA entourée de ses musiciens
À plusieurs reprises, vous dites que “la musique metal, c’est avant tout un état d’esprit et une façon de penser”. N’est-ce-pas le cas de toutes les musiques ?
M.S : Oui, mais chaque genre musical présente un état d’esprit qui lui est particulier. Dans le cas du metal et plus globalement dans le rock, il y a une aptitude spécifique envers la vie et le monde, ça dégage de la force, ça canalise les énergies. Il y a de la révolte aussi et souvent au nom de grands idéaux et de belles valeurs. Pour reprendre Carl Jung, on pourrait dire que le metal véhicule des archétypes spécifiques, et je suis de l’opinion qu’il s’agit d’archétypes très adaptés à la mentalité arménienne.
Selon vous, la violence de la musique metal est-elle propice à catalyser les tragédies arméniennes que sont ses guerres ou son génocide ?
M.S : Le black metal : oui ! C’est incontestablement le genre musical le plus apte à sublimer toute la rage, la fureur de vivre et la tragédie de l’histoire arménienne. Il y a dans ce style musical un immense potentiel cathartique.
Êtes-vous d’accord avec Iohan Costani, le frontman du groupe Vostan Hayots qui affirme que « le rock est un art de lutte » et rajoute que « si la musique rock remplissait les stades au détriment du rabiz, les Arméniens n’auraient pas perdu la dernière guerre » ? (Le rabiz est un genre musical arménien consistant à convertir les mélodies orientales en des versions électro.)
M.S : Costani est le prototype du « rockeur engagé et cohérent ». Son cœur bat autant pour le rock que pour l’Arménie. Selon lui, puisque le rock a cette capacité à traduire l’énergie propre au combat, il aurait fallu que les Arméniens y adhèrent en masse pour pouvoir s’unir davantage et lutter. Costani est un vétéran de la première et deuxième guerre du Haut-Karabagh, il sait ce qu’il dit. Dans son esprit, le rabiz représente un état d’âme propice à l’amollissement, à l’ignorance et au repli. On ne combat pas avec un esprit pareil.
Quel avenir prévoyez-vous à la scène metal arménienne ?
M.S : La plupart des personnes interviewées sont pessimistes car il y a une désaffection de la part des jeunes au profit de la pop et du rabiz. La pauvreté, la guerre et l’émigration ne les motivent pas à s’engager dans ce genre musical. C’est dommage car les compétences sont là, et la scène metal, bien que petite, a su se montrer active entre 2005 et 2015.
Personnellement je reste optimiste et espère que ce livre, que nous souhaitons un jour publier en arménien, participera à valoriser les formations locales. Franchement, il y en a qui mériteraient de jouer dans des festivals européens !
ILDARUNI est l’un des groupes arméniens de Pagan Black Metal
En 2015, le groupe Deathlam de Beyrouth n’a pas hésité à publier le titre « Burn the Ottoman Empire ». Ont-ils ouvert la voie à une musique militante ? Les jeunes formations sont-elles d’avantage impliquées par rapport à la guerre de 2020 et au conflit avec l’Azerbaïdjan ?
M.S : J’ai l’impression que c’est le contraire. Les jeunes musiciens ne sont pas partis au front, en 2020, ils n’ont été actifs que sur les réseaux à l’inverse des anciens : les gars de Vostan Hayots, Aramadz et Ellipse ont revêtu leurs uniformes !
La politique était davantage présente dans les années 80/90, quand il fallait vraiment mouiller sa chemise ! Au sein de la diaspora, les organisations patriotes étaient influentes : c’était l’époque de Miatsum, d’ASALA, de Monte Melkonyan, pour qui le groupe rock français Zartong a joué lorsqu’il était incarcéré à Fleury-Mérogis. Aujourd’hui, il reste Deathlam au Liban et System Of A Down aux Etats-Unis dont certaines chansons militantes attirent l’attention sur la cause arménienne.
Vous consacrez plusieurs chapitres aux Arméniens du Moyen-Orient, de France ou des US. Quel a été le rôle de la diaspora dans le développement du metal arménien ?
M.S : Ce fut fondamental ! C’est via la diaspora de France, des États-Unis et de l’Allemagne que les artistes arméniens d’URSS ont pu entrer en contact avec le rock et le metal. En outre, le fait que des Arméniens à l’étranger s’impliquent dans ce genre musical a pu inspirer des jeunes en Arménie : il en va ainsi de System Of A Down mais également d’Avo Nersesian (guitariste de Stryfe et Medagh) à Los Angeles, décédé hélas en 2020.
Le quatuor féminin de Black Metal, DIVAHAR
Qu’en est-il de la scène féminine ? N’est-ce-pas difficile pour des metalleuses de trouver leur place au sein d’une société aussi patriarcale ?
M.S : Oui ! Mais les temps ont beaucoup changé et les mentalités ont évolué. L’Arménie est le seul pays du Caucase à avoir 2 groupes metal formés exclusivement de femmes (DivahaR et Euphoria) et un groupe punk, Incest. Il y a pas mal de filles sur la scène : Dogma et Adana Project ont des chanteuses avec des compétences vocales extraordinaires. Et il ne faut surtout pas oublier que des Arméniennes furent fédayins !
Parmi les multiples interviews de votre livre se discerne celle de Ian Gillan, le chanteur de Deep Purple. Il semble être particulièrement attaché à l’Arménie.
Suite au séisme de Gumri en 1988, un très grand nombre de rockers britanniques et américains on monté le projet Rock Aid Armenia afin de lever des fonds pour reconstruire les zones sinistrée par le tremblement de terre. Parmi ces projets figurait une nouvelle version du single “Smoke on the Water” de Deep Purple enregistré par une foule musiciens de hard rock et d’Heavy Metal.
M.S : Ian Gillan a été très présent lors du Rock Aid Armenia qui a assisté la région de Gumri suite au tremblement de terre de 1988. Il s’est rendu sur place juste après le séisme avec beaucoup de musiciens dont Tony Iommy, le mythique guitariste de Black Sabbath. Ian est un être plein d’humanité qui apprécie vraiment la culture arménienne, c’est pour cela que François a eu le culot de lui proposer cette interview.
F.M : En 2014, Ian a d’ailleurs obtenu le titre d’Ami des Arméniens de la part du diocèse de l’Église arménienne des États-Unis pour ses efforts dans la reconstruction de l’école de musique de Gumri. Vous pouvez voir beaucoup de vidéos de Ian Gillan lors de ses concerts en Arménie soviétique ou même en train de faire de la poterie à Etchmiadzin ! Il a répondu à mes questions avec plaisir.
Votre ouvrage déborde d’anecdotes, parlez-nous du conflit entre les rockbands et les Rabiz.
La claviériste du groupe ARBOR MORTIS, Sona Shekoyan
M.S : C’est un conflit éternel quel que soit le contexte culturel. Il existe en Italie, en France, mais en Arménie durant l’époque soviétique, ce conflit a pris des proportions violentes. Que de bastognes ! Si un Arménien avec les cheveux longs se promenait en ville, des bandes de Rabiz l’insultaient et l’attaquaient de suite.
F.M : Les cheveux longs, les boucles d’oreilles, les jeans serrés, enfin juste un look un peu atypique pour un homme suffisaient à attirer tous les regards insistants de ces hordes de Rabiz auto-proclamées milice des mœurs. Je pense que les Rabiz ont surtout peur que les métalleux chamboulent les cœurs de leurs sœurs !
Pouvez-vous nous expliquer ce que sont les X-Ray Audios ?
F.M. Les X-rays ou Ryobra en russe sont des vinyles gravés sur des radiographies récupérées clandestinement dans les hôpitaux à l’époque soviétique pour y enregistrer la musique interdite par le régime communiste. Du rock, mais aussi du blues venu d’Occident ainsi que des artistes locaux censurés comme Pyotr Leshchenko. Ces « vinyles » étaient écoulés au marché noir enroulés autour du poignet et échangés lors de poignées de mains entre vendeurs et acheteurs ; ils ont alimenté en musique des milieux de passionnés comme par exemple les extravagants Styliaguis russes équivalent des Zazous français.
Quels sont les 3 groupes incontournables de la scène metal arménienne ?
M.S : Pour l’époque soviétique et la complexité de ses compositions heavy metal, je dirais Ayas. Pour les années 90, Vostan Hayots, qui joue un hard rock très influencé par la tradition arménienne. Ils représentent également un exemple d’engagement politique via des chansons qui évoquent les pogroms de Sumgaït et les révoltes en Artsakh. Pour l’époque contemporaine, je choisis le pagan black metal d’Ildaruni avec ses mélodies d’époques. C’est actuellement le groupe le plus connu à l’étranger.
F.M : Ayas pour les expériences musicales qu’Arthur Mitinyan a faites avec son groupe. Vostan Hayots pour son esprit de lutte et de résistance. Ildaruni pour avoir repris le flambeau avec brio ces dernières années ! J’ajouterais Rudolf Kalousdian pour son bar « RocknRolla » à Erevan, lieu metal incontournable pour tout métalleux qui se respecte !
Le groupe AYAS en concert en 2011
Votre Top 3 des albums à posséder ?
M.S : A Symphony Carved in Stone d’Avarayr, , Tended High de Sworn et …of Wisdom, d’Eternally Scarred.
F.M : Asparez – Anathema (1990) pour la période Heavy-Metal teintée de sonorités orientales, l’album éponyme de Zartong (1979) pour les amateurs de rock psychédélique des années 70 et Ildaruni – Beyond Unseen Gateways pour le travail incroyable qu’ils ont fait afin de faire resurgir l’esprit païen d’Urartu !
Comment pouvons-nous trouver les albums que vous citez ?
L’album “Beyond unseen gateways” d’ILDARUNI
M.S : Globalement vous pouvez vous rendre sur le site Bandcamp pour télécharger à petit prix les albums des groupes, ou même les acheter en support physique.
F.M : Étant moi-même un collectionneur, je conseillerais Discogs ou eBay pour les albums déjà parus. Mais je vous avertis, les albums sont tous sortis en éditions limitées et ne sont pas faciles à se procurer !
Songez-vous à faire une playlist regroupant un « Best of Armenian Metal » ?
M.S : C’était une proposition d’Emilien, notre éditeur. Mais le manque de moyens nous en a empêché. Peut-être pour une prochaine édition du livre lorsque le premier tirage sera terminé !
Pourriez-vous proposer aux novices un mini lexique de toutes les catégories de metal dont vous parlez dans votre ouvrage ? Entre Deep, Core, Death, Black, Glam, doom, trash, on s’y perd un peu…
MS et F.M : Le voici :
Black Metal : se caractérise par un jeu de guitare très simple et rapide, un rythme de batterie également rapide et violent, un chant en scream (hurlé) et très souvent l’utilisation du face painting (se grimer le visage). Le décor est sombre et introspectif, rappelle le lien à la nature ou aux forces obscures. Le genre est en réalité extrêmement versatile, avec un grand nombre de sous-catégories.
Death Metal : genre né aux USA et pays scandinaves. Les thèmes sont souvent gore, le chant est en growl (caverneux). Le décor lors des concerts est très minimaliste, l’attention est portée sur la puissance sonore. Des sous-genres comme le grind et le grindcore en font partie, avec des morceaux encore plus rapides et très courts, parfois juste une ou deux minutes.
Doom Metal : Le genre le plus lent, avec des riffs de guitare longs et « lourds ». Les sujets abordés sont généralement la mort et la dépression.
Heavy Metal : Le genre metal le plus connu, le plus classique, dont font partie Iron Maiden, Dio et Manowar. Ils ont véhiculé le style classique : jeans, cheveux longs, chaînes, gilets en cuir, bière, jolies filles et signe des cornes.
Thrash Metal : Il est l’héritier direct de la vieille garde Heavy Metal avec une touche de Punk Hardcore du début des années 80. Les groupes Metallica, Megadeth, Anthrax, en sont les représentants les plus connus.
Glam Rock : C’est une version très mélodique du hard rock qui se distingue de ce dernier par une aptitude plus sexualisée et des habits de scène en cuir, paillettes, maquillage très chargé.
Maxence Smaniotto est né en Italie. De 2014 à 2016, il est parti vivre en Arménie où il a travaillé pour la fondation humanitaire KASA. Depuis, il vit à Aix-en-Provence et exerce la profession de psychologue. Son premier livre, L’Arménie au-delà des clichés a été publié en 2018. Depuis il a autoédité un roman sur l’Arménie, Le procès des dieux, et un sur la Provence, Le Village refondé.
François Martin est originaire de Montceau-les-Mines en Bourgogne. Il travaille dans l’industrie mais a des projets dans l’univers de la musique metal dont la création de k7 audio de formations musicales en séries limitées (Murmur’s Legion) et la fabrication de patchs de groupes (Droidanlmur)
Hansel et Gretel : il n’est jamais trop tôt pour initier les enfants à l’opéra !
À l’occasion des fêtes de Noël, Amaury du Closel et sa compagnie Opéra Nomade proposent une adaptation de l’œuvre lyrique d’Engelbert Humperdinck, Hansel et Gretel. Conçu sous la forme d’un théâtre musical, ce spectacle permet au très jeune public de redécouvrir le conte de Grimm à travers des voix merveilleuses et des instrumentistes de talent.
Mis en scène par Marine Garcia-Garnier, il entraîne les petits dans la forêt sucrée de la sorcière Croquetout où Hansel et Gretel vont croiser le chemin du marchand de sable mais aussi celui de lapins fantômes et de coucous grognons. Entre sortilèges et féerie, ce moment musical est raconté sur scène par Kiki la narratrice qui apporte une touche espiègle et burlesque à cet opéra classique.
Lors de leurs représentations de décembre au Théâtre Paris Plaine, nous avons rencontré toute l’équipe du spectacle.
Estelle Andrea et Magali Paliès prêtent leurs voix de soprane et mezzo-soprane aux personnages de Gretel et Hansel.
Florence Gopikian-Yérémian : Qui a eu l’idée de ce spectacle?
Estelle Andrea (soprano) : C’est une production du chef d’orchestre et compositeur Amaury du Closel qui avait déjà fait une belle adaptation pour juniors de La Flûte enchantée nommée « La petite flûte enchantée ». L’opéra d’Hansel et Gretel est moins connu que celui de Mozart mais il a aussi été écrit pour un orchestre symphonique. Amaury en a fait une version intime de 50 minutes en l’arrangeant pour un trio de musiciens et trois voix (soprane, mezzo-soprane et baryton).
À qui doit-on la mise en scène ?
Estelle Andrea: C’est Marine Garcia-Garnier qui s’est chargée de la mise en scène. En complément des extraits musicaux de l’œuvre originale d’Engelbert Humperdinck, elle a aussi inventé le personnage de Kiki la narratrice et conçu sous forme de dialogues rimés toutes les parties parlées de ce spectacle.
Pourquoi avoir ajouté une narratrice ?
Marine Garcia-Garnier (metteuse en scène) : Le personnage de Kiki Citronelle est important dans cette adaptation car il fait le lien entre le conte et le chant lyrique mais aussi entre la scène et le public. Grâce à son humour et son espièglerie, cette jeune fille rend l’opéra d’Engelbert Humperdinck plus accessible aux enfants. Il faut aussi préciser qu’à la base, le libretto de cette œuvre était en allemand. Pour rendre l’histoire plus intelligible, nous avons donc fait le choix avec les chanteurs de traduire en français tous nos extraits choisis.
En parallèle des chants et de la musique, la narratrice Kiki Citronelle raconte l’histoire d’Hansel et Gretel aux enfants
Quel retour avez-vous des enfants ?
Magali Paliès(mezzo-soprano) : Extraordinaire ! Même les plus petits sont émerveillés car c’est un spectacle qui mélange le chant au théâtre. Chacun prend et savoure ce qu’il veut au fil du récit : les voix, l’histoire, la musique, le décor, les mimiques des comédiens…
Marine Garcia Garnier : Les enfants sont, en effet, très à l’écoute. Quel que soit leur âge, ils restent attentifs. Il y a d’ailleurs de très beaux moments de silence qui sont palpables notamment face à l’épisode de la sorcière ou du marchand de sable.
Le baryton Florent Karrer interprète le marchand de sable avec beaucoup d’humour
Vous avez déjà participé à de nombreux spectacles jeune public…
Estelle Andrea : Oh oui ! Avec Magali Paliès, Cela fait pas moins de vingt ans que nous faisons des pièces pour enfants (Mozart l’enchanteur, Sur les pas de Léonard de Vinci …) ! L’exigence concernant le jeune public est de plus en plus élevée et c’est une bonne chose.
Le challenge avec ce type de pièce est d’émerveiller les enfants tout en faisant retrouver aux parents leur âme d’enfant. Je pense qu’avec Hansel et Gretel nous avons réussi car toute la famille est heureuse.
Pensez-vous qu’il faille d’avantage inciter les plus jeunes à l’opéra ?
Marine Garcia-Garnier à la mise en scène
Marine Garcia Garnier : Absolument. L’opéra est un art compréhensible par tous. Il faut qu’il se démocratise d’avantage et cela passe par les nouvelles générations. Ces dernières sont sursollicitées par les écrans qui les abrutissent, l’opéra peut être l’une des propositions pour les décoller de ces mondes virtuels.
En tant que metteuse en scène je cherche précisément à créer de l’attention, de l’écoute et une réflexion de la part des plus jeunes. Je tente de les toucher émotionnellement, d’éveiller leur sensibilité aux voix lyriques, aux comédiens et donc à l’humain. À mes yeux, ce type de spectacle permet aussi de travailler sur le rapport au temps en leur offrant une expérience en direct et bien réelle.
D’où vous est venu l’idée d’initier les enfants à l’opéra ?
Le chef d’orchestre et compositeur Amaury du Closel a produit le spectacle d’Hansel et Gretel. Il s’inscrit au répertoire jeune public de sa compagnie Opéra Nomade.
Amaury du Closel (compositeur et producteur) : Ma compagnie Opéra Nomade existe depuis plus de trente ans et tourne partout en France en privilégiant les villes qui n’ont pas de maison d’opéra. Parallèlement à nos trois derniers spectacles (Lucia di Lammermoor, Les noces de figaro et La Traviata), j’ai voulu ouvrir notre répertoire au jeune public car, c’est triste à dire, mais il n’y a plus aucune culture musicale dans ce pays. À titre d’exemple, je viens de faire une conférence de musicologie en université et l’on m’a expliqué que la majorité des étudiants ne savaient pas lire une partition ! Quand à ce niveau universitaire il y a de telles lacunes, on voit le travail qui reste à fournir dès le primaire.
Comment doit-on s’y prendre selon vous ?
Amaury du Closel: Si l’on veut un public pour demain il faut le construire. Pour les enfants, il y a deux chemins complémentaires : d’une part, la composition d’œuvres spécifiques en fonction de leur âge, d’autre part l’apprentissage de pièces classiques dès l’école au même titre que la littérature ! La musique repose sur l’acquisition d’une culture et d’un passé. Il faut fournir ces bases à tous les enfants quel que soit leur niveau social.
D’après l’opéra d’Engelbert Humperdinck
Production : Opéra Nomade
Arrangement musical : Amaury du Closel
Mise en scène et écriture : Marine Garcia-Garnier
Direction musicale : Pierre Mosnier
Avec : Estelle Andrea (soprano), Magali Paliès (mezzo-soprano) et Florent Karrer (baryton)
Lorsque l’on entend “Hallelujah”, on pense instinctivement au timbre suave de Jeff Buckley, à la voix de John Cale du Velvet Underground ou même à la bande son de Shrek. Derrière cette sublime ballade, se cache pourtant un être aussi singulier qu’énigmatique : le génial Leonard Cohen.
À travers la genèse de sa chanson mythique, ce film documentaire tente de nous faire comprendre le parcours créatif et la philosophie de ce poète musicien qui nous a quitté en 2016.
Un Hallelujah à mi-chemin entre la foi et le désir
Contrairement à la majorité des artistes, Leonard Cohen a débuté sa carrière « sur le tard ». C’est, en effet, aux alentours de trente ans que ce poète de Montréal s’est improvisé chanteur, auteur et compositeur.
Adepte de la mouvance folk, il a progressivement élargit son répertoire au rock et à la pop mais, c’est définitivement avec le single “Hallelujah” qu’il a pactisé avec le Créateur et qu’il est passé à la postérité.
À la fois profane et sacré, cet opus universel nous fait songer à une étrange prière amoureuse. À mi-chemin entre le gospel et le blues, il parvient magnifiquement à faire fusionner foi et sexualité tout en questionnant le sens de la vie. Leonard Cohen a mis des années à écrire cet “Hallelujah” et il résume à lui seul toute sa quête existentielle.
Le cheminement spirituel de Leonard Cohen
Si les réalisateurs Dayna Goldfine et Daniel Geller ont choisi cette chanson comme fil directeur de leur film, c’est justement pour nous faire subtilement capter le parcours de cet artiste aussi discret que sensible. À travers ses interviews, ses tournées ou ses répétitions en studio, on découvre le cheminement spirituel de Leonard Cohen, on comprend mieux ses inspirations et l’on capte ses phases de dépression qui l’ont conduit à séjourner au sein d’un monastère zen durant plus de six ans.
À l’exemple du film de Brett Morgen sur David Bowie (Moonage Daydream), ce long métrage se concentre sur le processus créatif de l’artiste en mêlant des images d’archives à des témoignages d’amis et de musiciens. Monté comme un voyage spirituel, il nous livre à la fois l’élégance, la solitude et le mysticisme de Léonard Cohen.
Même si l’on adore écouter en boucle le divin “Hallelujah” de ce dandy des temps modernes, on aimerait que cet hommage cinématographique nous fasse aussi entendre des morceaux moins connus, qu’il explore d’autres textes et poèmes de Leonard, et qu’il nous en apprenne d’avantage sur sa jeunesse.
Au bout de deux heures de voyage musical, on est néanmoins séduit et l’on se dit que le mystère Cohen demeure à l’image de celui de la “Création” : envoutant et insoluble !
SONY MUSIC accompagne la sortie du film avec l’édition d’un best-of inédit de Leonard Cohen en CD et vinyle (édition limitée). Composé de 17 titres, HALLELUJAH & SONGS FROM HIS ALBUMS, comprend une performance livre inédite et inoubliable de Hallelujah lors du Festival de Glastonbury en 2008...
Ce spectacle musical mis en scène par William Mesguich est une heure de pur bonheur qui nous fait découvrir trois jeunes artistes aussi talentueuses que fantaisistes. Après ses débuts dans la petite alcôve du Théâtre de l’Essaïon, le voici à Avignon!
Marion Lépine et Aurore Bouston ont imaginé un musical plein d’humour et de fantaisie
Du classique à la pop : quel répertoire !
Leur show – car c’en est un – s’articule autour d’une soixantaine de pièces musicales évoquant la montée à Paris d’une jeune cantatrice pleine de promesses. Alternant les morceaux classiques et les chansons de variété, Aurore Bouston et Marion Lépine passent ainsi de Brel à Claude François en revisitant avec malice un opéra de Rossini ou une symphonie de Mahler.
Ces deux cantatrices sont aussi complices que talentueuses : mi-walkyries, mi-comiques, elles ont une pêche d’enfer et maitrisent leurs enchainements musicaux à la perfection !
Un trio complice plein de surprises
Marion Buisset apporte une élégante touche de Paname à ce musical !
Se répondant l’une l’autre de leurs belles voix, ces jeunes divas un peu canailles nous transportent dans les rues de Paname avec un réel enthousiasme ! Accompagnées à l’accordéon par l’élégante Marion Buisset, elles sont infatigables et nous font joyeusement déambuler de Montmartre à Pigalle en quête de romance mais surtout de travail.
Les galères des intermittents
Aurore Bouston joue les jeunes divas en quête de contrats
En effet, l’héroïne de leur histoire est une chanteuse qui court après les cachets. Manipulée par une cruelle sorcière, la candide enfant a du mal à se faire engager mais elle va peu à peu gagner en malice et inverser les rôles.
Marion Lépine prête sa voix à une sorcière maléfique
À travers les galères de ce sympathique personnage, Aurore Bouston et Marion Lépine se permettent d’aborder avec humour et vérité le statut précaire des intermittents. Jouant sur les mots autant que sur les notes, elles parlent d’OpérAssedic, d’OpéRatp mais aussi d’OpérAmitié ou d’OpérAmour 😉
Par delà ces amusants néologismes bercés de valses ou de tchatchatcha, on demeure bluffé par l’énergie de ces trois musiciennes : qu’il s’agisse de leurs compositions, de leur bonne humeur ou de la maîtrise de leurs enchaînements scéniques, ces demoiselles de Rochefort contemporaines nous enchantent !
Opérapiécé ? Un tour de chant dont on sort OpéRavis ! À quand la Playlist du spectacle ?
Un spectacle d’humour musical d’Aurore Bouston et Marion Lépine
Mise en scène : William Mesguich
Direction musicale : Louis Dunoyer
Avec Aurore Bouston, Marion Lépine et Marion Buisset à l’accordéon
Création lumière : Eric Schoenzetter
Costumes : BlackBaroque by Marie-Caroline Béhue
Chorégraphie : Éva Tesiorowski
The Opera Locos est un magnifique spectacle qui revisite avec allégresse les plus grands airs d’opéra. Interprété par cinq histrions aussi fous que talentueux, ce show va vous faire voguer de la Flûte Enchantée à la Traviata en passant par des mélodies de Sinatra, la BO de Titanic ou des digressions pop.
Un talentueux quintet
Que vous aimiez l’opéra ou pas, allez les voir : en solo, en duo ou en quintet, les chanteurs d’Opera Locos ne peuvent que vous séduire car ils ne se contentent pas d’avoir des voix sublimes, ils maîtrisent le mime, la comédie et, bien sûr, l’art lyrique qu’ils placent au service de l’amour et de l’humour.
Vêtus de couleurs folles et le visage grimé de blanc, ils possèdent cinq registres très différents.
Le bedonnant Alfredo (Florian Laconi) retrouve sa voix et sa jeunesse face à la belle Maria (Diane Fourès)
Alfredo (Tony Boldan) est le ténor du groupe : aussi bedonnant que sympathique, il joue le rôle d’un triste sire en fin de carrière qui cherche son salut dans les fonds de bouteille. Au fil des mélodies, ce personnage burlesque va retrouver sa confiance et libérer pour nous sa magnifique voix.
Maria (Diane Fourès) et Carmen (Margaux Toqué)
Pour l’aider dans ce « revival », Maria (Diane Fourès) va séduire Alfredo en chantant brillamment “O mio Babbino Caro” de Puccini ou en se transformant en émouvante Mme Butterfly. A la fois charmeuse et drôle, cette soprano n’a pas peur d’affronter les sommets les plus élevés de la Reine de la Nuit.
Moins naïve que sa complice, la mezzo-soprano Carmen (Margaux Toqué), joue les vamps à ravir. La cuisse aguicheuse et le sourire carnassier, elle n’hésite pas à cueillir ses proies masculines au sein du public et ramène même ses conquêtes sur scène pour le plus grand plaisir des spectateurs.
TxiTxi (Michael Kone) et Ernesto (Laurent Arcaro)
Face à ces dames, TxiTxi (Michael Kone) ne demeure pas en reste : corseté et tout de rose vêtu, ce beau contre-ténor nous affole avec ses montées lyriques, ses clins d’œil à Mika et son sulfureux déhanché.
Ernesto (Laurent Arcaro) l’a bien compris, qui tombe peu à peu sous le charme de ce castra contemporain. En effet, derrière les épaulettes de toréador d’Ernesto se dissimule un cœur moins viril qu’il n’y parait… Comme dit l’autre : « L’amour n’a jamais connu de loi… » pas même pour un baryton aussi puissant qu’Ernesto…
Vous l’avez compris : avec leur entrain et leur bonne humeur, ces cinq artistes vont vous faire redécouvrir l’opéra. Ils vous offriront même une Master Class durant laquelle vous pourrez faire vos vocalises et interpréter à tue-tête des chansons napolitaines.
The Opera Locos
Une création de la Compagnie Yllana et Rami Eldar
Avec : Diane Fourès, Margaux Toqué, Michael Koné, Laurent Arcaro et Tony Boldan (en alternance avec Florian Laconi)
Direction artistique : David Ottone, Joe O’Curneen et Yllana
Direction musicale : Marc Alvarez et Manuel Coves
Mise en scene residente : Dominique Plaideau
Création Lumière : Pedro Pablo Melendo
Costumes, Décors et maquillages : Tatiana de Sarabia
Chorégraphie : Caroline Roelands
Production : Encore un tour
Bobino
20 rue de la Gaité – Paris 14e
Réservations : 01 43 27 24 24
Jusqu’au 16 janvier 2022
Du mercredi au samedi à 19h
Le dimanche à 15h