Après Hideaki Anno à Nagoya l’an dernier, c’est au tour de Masamune Shirô d’avoir sa propre exposition, cette fois à Tokyo.

Il faut trouver le modeste musée de la littérature de Setagaya, dans la banlieue de Tokyo, pour accéder à cet événement manga. On ne peut faire quartier plus calme, avec quasiment ni âme, ni voiture, ni même restaurant autour de la petite gare.
L’exposition commence par recentrer la carrière de Masamune Shirô à travers une frise. Il est en effet moins facile de replacer Ghost in the Shell, son œuvre majeure, dans le temps, qu’Evangelion par exemple. Et on ne parle même pas des licences plus mineures. L’auteur est né en 1961 à Kobe, mais ne montre pas un fort attrait pour le dessin pendant sa jeunesse. Plutôt tourné vers le sport, il entre néanmoins à l’université des arts d’Osaka à 20 ans.
En 1983, il produit Black Magic sous forme de dôjinshi (nom donné aux mangas écrits par des indépendants). Celui-ci n’est pas exposé, alors nous nous sommes procurés la réédition publiée par Seishinsha (un éditeur d’Osaka pour qui Masamune Shirô travaillera par la suite). Enormément inspiré par Star Wars, Black Magic dépeint une épopée spatiale qui mêle magie et technologie, déjà centrée sur un personnage principal féminin fort. Le manga est dans un style de dessin en vogue à l’époque, peu réaliste et un peu burlesque, mais parvient déjà à poser de vraies problématiques comme la robotisation et la militarisation à outrance.
Vient l’époque d’Appleseed. Publié en 1985, ce manga installe les grandes lignes qui formeront Ghost in the Shell plus tard, notamment le thème de la robotisation des individus. On trouve déjà le principe d’un personnage principal féminin appartenant aux forces de sécurité travaillant avec un personnage cyborg complètement robotisé, respectivement Deunan et Briareos. On ne peut s’empêcher d’y voir un signe annonciateur du couple Motoko/Batô plus tard dans Ghost in the Shell. Appleseed est un monde de science-fiction orwellien dans lequel la technologie déshumanise, un thème qui sera central dans tous les arcs narratifs de Ghost in the Shell. Contrairement à Ghost in the Shell, Appleseed est post-apocalytique et se passe en fait cent ans après celui-ci.

Sorti en même temps que Ghost in the Shell et officiellement présent à l’exposition jusque dans les produits dérivés, Senjutsuchôkôkaku Orion est une œuvre bizarre d’action dans un univers inspiré du folklore asiatique. Les héros affrontent des guerriers mythiques et autres monstres géants, mais le déroulement est ultra confus, tout comme la gestion des personnages. On sent que le dessin s’est modernisé depuis Black Magic et les scènes d’action ont bien plus d’impact, mais encore faudrait-il qu’elles soient correctement connectées au reste. Le côté sexy sauve difficilement un ensemble dont on ne perçoit pas bien la trame narrative. On donc peu surpris qu’il soit passé inaperçu à côté de ce qui allait devenir l’œuvre d’une vie.

Le premier manga de Ghost in the Shell paraît en 1991. Sa renommée donne naissance un premier film en 1995 et la série va alors enchaîner les succès pendant une dizaine d’années, notamment avec l’animé Stand Alone Complex et l’excellent deuxième film Innocence. Mais bien sûr l’exposition traite plus du manga puisque c’est le point de départ que l’on doit à Masamune Shirô directement. Les nombreuses planches exposées montre une facette bien différente par rapport au Ghost in the Shell du petit et grand écran : les personnages sont ici nettement plus expressifs, arborant des grimaces ou des sourires francs qu’on a pas ou peu dans l’animé. L’humour est aussi beaucoup plus direct, comme se le version avait été conçue dans un équilibre différent entre comédie et science-fiction. Même pour ceux qui connaissent par coeur les films, la lecture du manga peut nettement valoir le coup car la redécouverte pourrait être totale.

L’exposition se termine par quelques illustrations (bien) choisies dessinées par Masamune Shirô aux cours des années et une annonce de taille, puisqu’une nouvelle série animée Ghost in the Shell est en préparation pour 2026. Il sera réalisé par le studio Science Saru, qui s’est récemment fait connaître sur l’animé Dandadan. De l’affiche, on peu espérer un retour au sources sur la plan du design, loin des horreurs qui ont été faites avec Arise ou même SAC 2045.