Projection-débat autour du film de Serge Avédikian 

Ce mercredi 29 mars à 20h30, le Ciné Club Christine propose une projection exceptionnelle du film de Serge Avédikian « Celui qu’on attendait ». Sortie en 2016, cette fable sociale entraine le comédien Patrick Chesnais dans un petit village arménien à deux pas de la frontière avec l’Azerbaïdjan…

En résonance avec l’actuel conflit arméno-azerbaidjanais et le blocus du Haut-Karabagh, Serge Avédikian invite les spectateurs à poursuivre le débat. Pour ce faire, il a convié les comédiens Patrick Chesnais et Arthur Arzoyan mais aussi Jean-Christophe Buisson (D.A du Figaro Magazine), le philosophe Pascal Bruckner et le journaliste Tigrane Yegavian de la revue Conflits.

Entre comédie et tragédie, cette soirée est ouverte à toutes les opinions et sensibilités.

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Le comédien Patrick Chesnais et une jeune fille du village arménien de Khatchik

Celui qu’on attendait : L’histoire

Jean-Paul Bolzek (Patrick Chesnais) est un acteur grenoblois venu présenter son one-man show en Azerbaïdjan. Tandis que son taxi le ramène à l’aéroport de Bakou pour rentrer en France, le véhicule tombe en panne et le chauffeur s’enfuit. Seul au beau milieu des montagnes, Bolzek traverse la frontière azérie sans s’en rendre compte et se retrouve en terre arménienne.

Arrivant dans le village de Khatchik, il est pris pour un espion à la solde de l’Azerbaïdjan et mis en détention. Lorsque les habitants se rendent compte de leur erreur, ils adoptent étrangement un tout autre comportement: prenant Bolzek pour un soi-disant messie rescapé du Génocide de 1915, ils l’accueillent comme le sauveur de leur terre ancestrale ! Malgré la barrière de la langue et les différences de mentalités, le comédien se laisse alors prendre au jeu et devient contre toute attente un véritable porteur d’espoir. 

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Quand un comédien grenoblois (Patrick Chesnais) est pris pour le messie par tout un village du Caucase…

Une fable philosophique

Ce film de Serge Avédikian peut être perçu comme une fable contemporaine. Alternant des moments d’humour et de grande tendresse, il porte un regard bienfaiteur sur l’homme et son positionnement au sein d’une société qu’il ne maitrise pas toujours. Le spectateur ne doit pas y chercher une logique d’actions ou une analyse sociétale, juste se laisser porter et s’interroger sur le sens de l’existence, celui des années qui passent et la nécessité de ne pas s’enfermer dans une triste solitude.

Malgré quelques allusions au conflit arméno-azéri, Serge Avédikian n’a pas souhaité mettre en avant le problème du Haut-Karabakh. Certes, le choix du tournage à la frontière des deux pays n’était pas anodin à cette époque mais ce n’est pas cet axe qui a porté son récit en 2016. 

En choisissant Patrick Chesnais comme protagoniste de cette drôle d’histoire, Serge Avedikian ne s’est pas trompé. Balloté comme une brebis égarée entre les monts du Caucase, Chesnais apporte beaucoup d’authenticité voire de burlesque à Bolzek, son personnage. Incapable de comprendre un seul mot d’arménien, il en est réduit à pousser des gueulantes, s’enfuir par les toilettes ou tenter de dialoguer en utilisant des phrases de Tintin. Son décalage permanent avec la réalité est amusant mais c’est surtout sa transformation progressive qui est attendrissante: voir ce français égoïste s’ouvrir peu à peu à une culture orientale et généreuse a quelque chose de savoureux. 

Parmi les autres interprètes se remarquent la sensuelle Arsinée Khanjian ainsi que Mikayel Dovlatyan qui incarne avec une austère retenue l’incontournable figure du prêtre. Afin de compléter son tableau folklorique, Serge Avédikian a aussi placé un joueur d’échec, un pseudo-mafieux et une ribambelle de fonctionnaires teintés de sovietisme.

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Un film de Serge Avédikian

Sur une idée de Jean François Derec
Avec : Patrick Chesnais, Arsiné Khandjian, Robert Harutyunyan,  Nicolay Avétisyan, Stephan Ghambaryan

Christine Ciné Club
4, rue Christine – Paris 6e
T. 0143258578

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Interview * de Serge Avédikian  

Florence Gopikian Yérémian : Comment est née l’idée du film?

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Le réalisateur Serge Avédikian

Serge Avédikian : Ce projet a été conçu au fil de mes discussions avec le comédien Jean-François Derec. Jean-François avait envie de raconter l’histoire d’un homme qui s’égare dans un milieu à priori hostile. L’idée principale était de s’interroger sur la communication et l’interaction de deux cultures différentes: que se passe t’il lorsqu’un homme se retrouve seul au milieu d’une société qui ne comprend pas sa langue? Certes, cela est déstabilisant car il est obligé de s’adapter à son nouvel environnement, cependant c’est aussi formateur car il est immédiatement renvoyé à sa propre solitude, ce qui l’emmène à regarder autrement son couple, son métier et son mode de vie. C’est précisément ce recul sur l’existence et cette introspection qui sont mis en avant à travers le singulier personnage de Bolzek.   

Pourquoi avoir choisi Patrick Chesnais pour incarner ce pauvre Bolzek ? 

C’est un comédien français qui a une particularité : il est en rupture dans son travail aussi bien que dans son jeu. Lorsque l’on regarde ses films, l’on voit que Chesnais porte une sorte de clown de lui-même. Ce n’est pas un comique au premier sens du terme mais il est en marge dans sa gestuelle et dans son phrasé. Cela correspond parfaitement à la figure désorientée de Bolzek qui ne comprend pas trop ce qui lui arrive mais essaye de s’adapter. Patrick est un acteur qui a atteint la maturité suffisante pour être dans ce type de lâcher-prise: lorsque qu’il a lu le scénario, il a tout de suite accepté de se laisser entrainer en Arménie sans trop savoir où il mettait les pieds. Je pense personnellement qu’il a vécu et ressenti ce rôle comme une aventure personnelle plus qu’une composition. Il a d’ailleurs beaucoup apprécié le voyage. 

Qu’en est-il d’Arsinée Khanjian qui interprète une enseignante arménienne ?

Arsinée est une amie de longue date, tout comme son mari, le réalisateur Atom Egoyan, avec qui je partage une réelle complicité cinématographique. Je l’ai choisie car elle possède naturellement l’engagement de sa protagoniste : c’est une femme de caractère qui sait alternativement être subtile ou psycho-rigide. Sa figure est très importante dans le film car même si elle n’apparait que trois fois, elle fait évoluer l’histoire vers une quête d’humanité, voire de romantisme.    

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Bolzek (Patrick Chesnais) n’est pas indifférent aux charmes de la belle Tzarkanoush (Arsinée Khanjian)

Comment s’est passé le tournage? 

On a démarré en mai 2015 et cela a duré presque huit semaines. Toute l’équipe française vivait chez l’habitant ce qui a entrainé une très belle communion. Bien sûr la logistique n’était pas toujours évidente mais on a fraternisé avec la mairie et on a mis les habitants à contribution en les engageants comme figurants ! On a même travaillé avec de vrais soldats qui ont prêté leur uniforme à Patrick! Certes, il n’y avait pas vraiment d’eau chaude ou de confort mais l’amitié était là, sans parler de la générosité des Arméniens et de leurs tablées: nous avons eu droit à de la nourriture bio pendant tout le séjour ! Lavash, yaourt maison, xholovatz… Patrick n’a pas arrêté de manger de la viande et de se régaler !

Comment avez-vous géré la barrière de la langue? 

Il y a très vite eu une empathie entre l’équipe française et les habitants du village qui parvenaient à communiquer avec des gestes. De mon côté, par contre, j’ai du déployer une énergie phénoménale pour diriger le film simultanément en français et en arménien: durant tout le tournage, j’ai du parler les deux langues quasiment en même temps. Cela m’a mis dans un état de transe épuisant, mais ça a eu le mérite de faire rire tout le monde.

Patrick Chesnais a t’il appris ses textes en arménien? 

Je les lui écrivais en phonétique et il les répétait. Patrick n’est pas très doué pour les langues orientales, il a du mal avec la prononciation et il fait un réel effort pour déclamer ses phrases. J’ai tenu à conserver cette approche maladroite au montage car je trouvais qu’elle correspondait parfaitement à la gaucherie de Bolzek. 

Quel a été le rapport de Patrick Chesnais avec l’Arménie? 

Je pense qu’il a vraiment apprécié le côté très direct et rugueux des villageois. Patrick vient des alentours de Rouen et a grandi dans cette atmosphère franche et rurale. Au fil des jours, il a eu l’impression de faire un come-back dans les années 50 et cela lui a beaucoup plus. En vivant avec des gens sans-façon qui le regardaient dans les yeux et le prenaient simplement dans leur bras, il s’est rendu compte à quel point les mentalités avaient changées.

Avez-vous fait exprès de ne pas sous-titrer l’ensemble du film ?

Parfaitement. Au début de l’histoire, j’ai voulu que les spectateurs français soient aussi déstabilisés que Patrick. J’ai donc fait abstraction de plusieurs dialogues arméniens afin qu’ils ressentent eux-mêmes ce vide linguistique. L’absence de sous-titres leur fait perdre tout repaire et fonctionne très bien dans la dynamique du film. 

Vous avez aussi introduit des « vignettes » et de malicieux clins d’oeil stylistiques? 

Oui, lorsque Bolzek rêve de s’enfuir, j’ai souhaité faire des références au cinéma muet de Chaplin et de Buster Keaton. Mon protagoniste est acteur de profession et l’on découvre ainsi à l’écran comment peut fonctionner son imagination. Quand ensuite Bolzek participe à la manifestation du village contre la mafia locale, j’ai aussi procédé à une « Tinténisation » du film en faisant un clin d’oeil au monde de la Bande Dessinée pour explorer une autre façon de communiquer. 

Vous avez fait appel à Gérard Torikian pour composer la musique ? 

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Gérard Torikian a signé la musique du film

Tout à fait. J’ai déjà travaillé avec Gérard sur la pièce ” Le concert arménien ou le proverbe turc »  et à mes yeux, c’est la personne qui pouvait le mieux sentir le décalage ludique qu’il fallait apporter musicalement à mon film. La force de cet artiste est de ne pas être cloisonné dans son arménité. Bien sûr, il possède la langue, le savoir et la sensibilité de ses ancêtres mais il les enrichit sans cesse en laissant d’autres cultures se superposer. À son exemple, il faut que les Arméniens se décomplexent, qu’ils métissent leur patrimoine afin de se rendre universels. Aujourd’hui plus personne ne se résume à une seule identité, il faut être pluriel, avoir un regard large.

Quel est le message de votre long-métrage?

Il n’y a pas un message précis car ce n’est pas un documentaire. « Celui qu’on attendait » est une fiction où les thématiques s’imbriquent. J’y évoque le rapport au temps, la vieillesse, le besoin de communiquer… L’un des thèmes qui me tient le plus à coeur demeure cependant celui du comédien: qu’est-ce qu’un comédien ? Est-ce un homme qui passe à côté du réel en s’impliquant trop dans sa profession? Et quel est vraiment l’impact des rôles qu’il endosse sur sa vraie vie?

Vous placez cette histoire à la frontière de l’Azerbaïdjan, ce n’est pas un choix anodin…

J’ai tourné le film en 2015, année du centenaire du Génocide des Arméniens mais je n’ai pourtant pas voulu en faire un manifeste en faveur du Haut-Karabakh. J’avais envie d’évoquer une réalité propre à tous les gens d’aujourd’hui, de mettre en avant l’homme dans sa solitude et son besoin d’autrui.

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Interview * de Patrick Chesnais 

Florence Gopikian Yérémian : Aviez-vous déjà travaillé avec Serge avant ce long-métrage ?

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Le comédien Patrick Chesnais sera présent à la projection-débat du 27 mars au Ciné Club parisien Christine

Patrick Chesnais : Non, mais je le connaissais depuis longtemps comme comédien car il a joué avec ma femme – Josiane Stoléru – durant des mois dans la pièce de Tennessee Williams, “La ménagerie de verre”.

Comment est-il en tant que réalisateur ?

Serge est assez précis, il veut tout contrôler mais comme il est lui-même acteur il laisse une certaine liberté à ses interprètes. Heureusement !  

Qu’est ce qui vous a fait accepter le rôle tragi-comique de Bolzek ? 

Le personnage était intéressant en soit, tout comme le scénario, mais c’était surtout alléchant pour moi d’aller en Arménie et de m’immerger dans un monde inconnu avec de nouveaux acteurs. Déjà sur le papier, cela avait l’air excitant.  

Comment s’est passé votre séjour ?

A l’exemple de mon personnage, il y a eu un choc des cultures lorsque je suis arrivé à Khatchik. Un tel environnement ça secoue radicalement les habitudes! J’avoue qu’au début j’ai eu un peu peur car le village était assez précaire mais on a été si bien reçus qu’au fil du tournage j’ai trouvé cette expérience très agréable. 

Avez-vous, à l’instar de Bolzek, vécu cette parenthèse exotique comme un retour à l’essentiel ?

Oui. En Arménie, j’ai eu l’impression de me retrouver dans un village normand de l’après guerre. Le fait d’être coupé du monde modifie complètement les relations entre les gens. J’ai ressenti une disponibilité et une ouverture impressionnante de la part des habitants. L’on y vit à une autre vitesse, bien loin de l’accélération et de la folie parisienne. Cela confère une toute autre saveur aux choses. 

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Qu’est ce qui vous a séduit en Arménie? 

L’hospitalité. Il y a une véritable gentillesse partout où vous allez. Même si je ne parlais pas la langue, les gens me comprenaient. L’on échangeait avec le regard, la gestuelle, le sourire, c’était très intéressant. 

Avez-vous eu le temps de partir en excursion ?

J’ai visité le Lac Sevan et la capitale. J’ai d’ailleurs beaucoup aimé Erevan et ses habitants. C’est une ville très riche culturellement, très vivante, il y a beaucoup de théâtres, de musées et, en même temps, une douceur de vivre incroyable.

Avez-vous eu droit aux traditionnels « guenadz » (“Santé !”) durant votre séjour ? 

Oui et ça m’a beaucoup plus. A chaque invitation, chez le maire ou ailleurs, on levait le verre ! J’aime cette tradition où chacun prend la parole pour remercier ses proches ou féliciter ses amis. Tout le monde est attentif, à l’écoute des autres. Effectivement, si l’on boit à chaque fois cul-sec, on devient saoul très rapidement mais en faisant attention on peut s’en sortir…

Etiez-vous au courant du conflit arméno-azerbadjanais avant le tournage?

Franchement non. Mais vu qu’on était à la frontière, je m’y suis bien penché. Comment faire autrement? L’armée était omniprésente sur le tournage!

Comme le dit votre protagoniste, pensez-vous que « l’Arménie puisse faire la paix avec ce pays voisin » ?

Ces questions de territoire sont très complexes. Je pense que si la paix doit se faire, ce sera par le biais des grandes puissances occidentales et russes. Il faut cependant qu’un partage équitable se fasse car on a déjà piqué suffisement de territoires aux Arméniens : les Turcs se sont largement servis ! A mes yeux, le peuple arménien est à présent légitimement en droit de revendiquer d’autres terres. Il suffit simplement de regarder l’Histoire pour comprendre l’injustice dont ils sont victimes.

* Ces deux interviews ont été faites au lendemain de la sortie du film en mai 2016

Florence Gopikian-Yérémian – florence.yeremian@symanews.fr

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Conversation avec Serge

Florence Gopikian Yérémian est journaliste culturelle. Rédactrice auprès de Muséart, Paris Capitale, L’Oeil ou le BSC News, elle couvre l’actualité parisienne depuis plus de vingt ans. Historienne d’Art de formation (Paris Sorbonne & Harvard University), correspondante en Suisse et à Moscou, elle a progressivement étendu ses chroniques au septième art, à la musique et au monde du théâtre. Passionnée par la scène et la vie artistique, elle possède à son actif plus de 10000 articles et interviews.