Pierre Cardin : tellement de choses à ne pas dire

Lorsque l’on parle de Pierre Cardin, chacun se remémore l’homme de mode futuriste qui expérimenta les tissus 3D, les robes Cosmos et fit défiler ses mannequins sur la Muraille de Chine ou la Place Rouge de Moscou. Par-delà ce styliste visionnaire, Cardin était aussi un business man hors-pair et un amoureux des arts qui a su redonner ses heures de gloire à Maxim’s et créer une myriade de spectacles.
Gérard Chambre a été son collaborateur durant près de cinquante ans. Avec beaucoup d’humour et d’admiration, il dresse un portrait rythmé, plein d’optimisme et presque drôle de Pierre Cardin en nous montrant des facettes moins connues de ce génie aussi fantasque qu’exigeant.

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Gérard Chambre aux côtés de Pierre Cardin

Florence Gopikian Yérémian : Comment s’est passée votre rencontre avec Pierre Cardin et quel a été votre parcours à ses côtés ? Entre le mannequinat, la gestion du Théâtre Maxim’s et la création de spectacles à l’Espace Cardin, il semblerait que vous ayez touché à tout !

Gerard-ChambreGérard Chambre : Je raconte cette singulière rencontre au début de mon livre : Octobre 1967 – Pierre Cardin recherche des étudiants pour sa nouvelle collection. Du haut de mes 17 ans, je vois l’annonce et me présente rue du Faubourg Saint-Honoré sans rien connaitre au monde de la mode. Recalé par le DRH, je suis sur le point de partir quand je heurte de plein fouet un jeune homme très élégant dans l’escalier… S’en suit un début de colère vite transformée en curiosité, et Pierre Cardin – car c’est lui ! – m’invite à prendre place dans son bureau. Lorsque je lui annonce que je suis comédien (alors que je n’étais encore qu’étudiant à cette époque !) des étoiles se mettent à briller dans ses yeux… ainsi démarre notre collaboration ! Ont suivi des défilés (une première pour moi), des voyages (USA, Chine, Japon, Mexique, Brésil…) et une foule de pièces de théâtre où Cardin était présent quel que soit l’endroit (cafés, péniches, salles municipales…).

Quelle a été votre première pièce ?pierre-cardin-presente-jacqueline-kennedy-la-dame-en-rose-new

J’ai crée « Hot L Baltimore » à l’Espace Cardin (mise en scène  par Alexandre Ardady), puis il a eu « Vernissage » de Vaclav Havel, « Viole d’amour », « Le p’tit groom de chez Maxim’s », « Proust » …. Plus de 20 spectacles ont vu le jour en ces lieux jusqu’à la comédie musicale « Jacqueline Kennedy » ! Lorsque l’espace Cardin a été récupéré par la Ville de Paris, Pierre a continué à avoir confiance en moi et il m’a confié la direction du théâtre Maxim’s.  En final de cette très belle collaboration, je lui ai proposé un festival de Film de Comédies Musicales à Lacoste et, du haut de ses 98 ans, il me l’a accordé avec enthousiasme !

Travailler avec un homme hyperactif et aussi exigent que Cardin était-il une chose aisée ? D’après votre ouvrage, cet homme avait 1000 idées à la minute, des sauts d’humeur et il s’éparpillait dans des centaines de projets aux quatre coins du monde ! Difficile de suivre un tel workaholic, non ?

Difficile de le suivre ? Au contraire ! Très vite, il vous communiquait une envie infinie de création, de voyages, d’écriture ! Plus on lui apportait des idées (qu’il n’acceptait pas toutes), plus ça le réjouissait ! Commençaient alors d’âpres discussions à propos des costumes, du décors, de la publicité, des tournées, de la distribution et, bien sûr, … du budget. Un spectacle en amenait un autre, c’était devenu un jeu entre nous, et les premières se succédaient (Cardin adorait les premières !). En me retournant sur les projets que je lui ai soumis, j’ai constaté qu’il ne m’avait jamais rien refusé !

Pourquoi ce livre ? Vous aviez envie de nous faire découvrir l’homme d’affaire et le mécène par-delà le couturier ?

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Gérard Chambre à ses débuts

J’ai voulu raconter les coulisses d’un homme extraordinaire que j’ai eu la chance de rencontrer et que j’ai suivi pendant un demi-siècle. Par-delà l’homme de la mode et la carapace médiatique qui l’entourait,  je voulais montrer l’entrepreneur et décrypter ce qui a fait d’un petit émigré Italien un si grand Génie.

Cardin clame qu’il a découvert Gérard Depardieu. Est-ce le cas ?

Pierre était très fier d’avoir lancé un nombre incroyable d’acteurs, de danseurs ou de chanteurs… Il était d’ailleurs un peu triste qu’une fois dans la lumière, ces derniers ne parlent pas de lui.
Gérard Depardieu a joué dans « La chevauchée sur le lac de Constance » (de Peter Handke) alors qu’il était inconnu, sans expérience, et c’est ce spectacle qui l’a lancé. Il en est resté une grande amitié entre eux et Gérard est venu jouer son spectacle sur Barbara au Festival de Lacoste un an avant la disparition de Pierre, comme un dernier adieu.

Au cours d’un de vos chapitres, vous racontez que Cardin exhibait à tout-va ses photos avec Jackie Kennedy, Gorbatchev ou Fidel Castro. Vous dites de lui, que « c’était un adolescent de 94 ans surpris par son propre succès ». Cet homme a donc su conserver l’enthousiasme d’un enfant durant toute sa vie ?

Il était très fier d’avoir rencontré le monde entier et, à chaque fois qu’il en parlait ou montrait un article le concernant, il redevenait effectivement aussi heureux qu’un débutant qui lit sa première critique !

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Détente au Palais Bulles

Il nous a quitté le 29 décembre 2020 à l’âge de 98 ans. Qu’est-ce-qui vous manque le plus depuis son départ ?

Son humour, sa liberté, sa générosité et la pudeur de son amitié.

Si vous deviez résumer Cardin en 3 mots, quels seraient-ils ?

Difficile de choisir, il y en a beaucoup ! Mais je dirais : Intelligence, élégance et imagination.

Pourquoi avoir choisi ce titre « Tellement de choses à ne pas dire » ? Votre ouvrage ne fait pas particulièrement de révélations pouvant ébranler l’image du maestro.

Pour ne pas avoir à raconter ce qu’on sait déja sur lui, sa carrière, son génie… Et pour éviter les scandales sulfureux qui réjouissent tant les lecteurs de magazines spécialisés.

Cardin était-il un homme secret ou pudique ? Malgré sa surmédiatisation, nous connaissons peu de choses de ses pensées ou ses amours.

Il était à la fois pudique et secret. C’est un peu ce que j’ai essayé de raconter : non pas sa vie intime, ses faux secrets (d’autres s’en sont déjà chargé !), mais « simplement la vie simple d’un Génie » !

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Moment de partage entre Gérard Chambre et Pierre Cardin dans le Lubéron

Savez-vous pourquoi Pierre Cardin a souhaité acquérir le château du Marquis de Sade (à Lacoste dans le Vaucluse) et le Palais vénitien de Casanova ? Vouait-il un culte particulier à ces deux prédateurs légendaires ?

Cardin adorait construire, je pense qu’il avait trouvé dans la construction, ou plutôt dans la restauration un autre champ pour sa créativité inextinguible. Il a choisi le Château de Sade et le Palais de Casanova car il était très provocateur : pour quelqu’un qui aimait les hommes, le fait de posséder les deux châteaux de ces deux Dom Juan l’amusait beaucoup ! Celui de Casanova, symbolisait Venise, l’Italie et ses origines, quant à celui de Sade, il représentait son amour pour le petit village de Lacoste.

Cardin était-il, selon vous, de la lignée de ces deux séducteurs ?

Sans entrer dans les détails, Pierre n’était pas un séducteur, mais un Amoureux.

Au cours de sa vie, il a acquis prés d’une centaine de maisons à Théoule-sur-Mer, Lacoste, Venise ou ailleurs. Pourquoi cette soif de patrimoine alors qu’il n’avait même pas le temps d’apprécier le quart de ces demeures ?

Je pense que chaque acquisition était liée à un projet culturel. À Théoule, il a créé le plus beau théâtre en plein air à la Maison Bulle. À Lacoste, Il a monté trois théâtres et a voulu faire de ce village un « Saint-Tropez de la culture » (dixit). Et en ce qui concerne Venise, il y a organisé des spectacles (j’ai d’ailleurs eu la chance de jouer pour lui à la Fenice), des festivals et sa fameuse Tour des lumières !

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Le Palais Bulles de Théoule-sur-Mer

Pierre Cardin a confié sa succession à son petit neveu Rodrigo Basilicati Cardin : savez-vous comment évolue son empire, son musée, ses collections ?

Pierre Cardin n’a rien confié à qui que ce soit ! Il n’a d’ailleurs pas laissé de testament. Je ne l’ai jamais entendu parler de l’après, ni même de la mort. Je crois que sa devise ne pouvait qu’être : « Après moi le déluge ! ».

Que devient l’Espace Cardin et sa programmation ? Êtes-vous toujours responsable de certains spectacles au sein de ce lieu ?

Le lendemain de sa mort, j’ai été expulsé de la maison Cardin, peut-être considéré (à tort !) comme faisant partie du cercle proche de Pierre Cardin. Je ne m’intéresse donc plus à ce qui s’y passe et ne suis aucunement sollicité pour y produire un spectacle. L’Espace Cardin appartient à présent à la Ville de Paris.

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Gérard Chambre dans l’un de ses multiples spectacles : “Moi, j’aime le Music Hall ! “

Quelle est votre actualité ?

En ce qui me concerne, je produis plusieurs spectacles, parmi lesquels « Brel Brassens Ferré », « Moi j’aime le music-hall », « Les petites musique de Proust » ou « Toulouse-Lautrec ».

J’ai cru comprendre qu’un concert allait être adapté de votre livre ?

Absolument, ce sera un « concert/confidences » intitulé « Pierre Cardin, tellement de choses à chanter ».

Florence Gopikian Yérémian – florence.yeremian@symanews.fr

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Pierre Cardin : tellement de choses à ne pas dire

Un livre de Gérard Chambre

Éditions Lunatique

Florence Gopikian Yérémian est journaliste culturelle. Rédactrice auprès de Muséart, Paris Capitale, L’Oeil ou le BSC News, elle couvre l’actualité parisienne depuis plus de vingt ans. Historienne d’Art de formation (Paris Sorbonne & Harvard University), correspondante en Suisse et à Moscou, elle a progressivement étendu ses chroniques au septième art, à la musique et au monde du théâtre. Passionnée par la scène et la vie artistique, elle possède à son actif plus de 10000 articles et interviews.