Le Monte-plats : une pièce d’Harold Pinter

Gus et Ben sont deux tueurs à gages planqués dans un sous-sol. Assis sur un lit de camp, ils attendent les ordres de leur prochaine mission. Tandis que les heures passent, Gus commence à se poser des questions… Trop de questions… Lui, qui était un si bon exécutant jusqu’à présent, s’interroge sur sa profession et finit par chercher le sens de son existence. Agacé par le comportement de son acolyte, Ben veut le faire taire mais c’est mal connaître l’insistance de Gus. Tandis que la tension monte entre les deux tueurs, un message inattendu atterrit devant eux par l’intermédiaire d’un monte-plats…

Une critique du système societal et de la soumission humaine

Derrière un sujet apparemment anodin, la pièce d’Harold Pinter met en avant la sottise et l’asservissement trop souvent consentant de ses semblables. À travers les personnages caricaturaux de Gus et Ben, l’auteur britannique nous interroge subtilement sur notre rapport hiérarchique au monde extérieur : qui a le droit de nous donner des ordres ? Devons-nous les exécuter les yeux fermés en fonction d’un système sociétal prédéfini ? Mais dans ce cas, qu’en est-il de notre libre arbitre ?

En choisissant de mettre en scène Le Monte-plats, Étienne Launay adopte la même démarche que Pinter : il souhaite, bien sur, nous offrir une belle parenthèse scénique mais il veut surtout nous inviter à prendre du recul sur nos relations avec la société et précisément avec l’autorité. L’être humain a, hélas, la mauvaise habitude de se soumette aux ordres que ce soit par peur, par naïveté ou par facilité. Face à de tels comportements, le théâtre demeure, sans aucun doute, l’un des moyens les plus élégants pour éveiller notre conscience et nous faire réagir : vous même, justement, savez-vous si vous êtes maître ou victime de votre quotidien  ?

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Mathias Minne (Gus 2) et Bob Levasseur (Ben 2)

Une mise en scène très originale signée Etienne Launay

Afin de rendre ce questionnement intéressant, Étienne Launay ne s’est pas contenté de reprendre le texte de Pinter, il a créé une excellente mise en scène qui compense le manque d’intrigue de la pièce. Il y a, en effet, peu d’action et trop de bavardages dans le Monte-Plats de Pinter et si l’on voit cette œuvre en se contentant d’un premier degré d’analyse, elle peut sembler creuse, voire insipide. Pour lui donner une dimension supplémentaire, Étienne Launay a eu une approche très originale de sa direction d’acteurs : séparant son plateau en deux, il a dédoublé le tandem de Gus et Ben et a placé ses quatre interprètes en miroir. Le spectateur fait ainsi face à deux duos d’acteurs qui jouent la même pièce sans se voir mais en se répondant. Cette mise en écho est géniale car elle oblige notre regard et notre esprit à faire des allers-retours qui nous déstabilisent autant qu’ils nous amusent.

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Simon Larvaron (Gus 1) et Benjamin Kühn (Ben 1)

Un quadrige de tueurs à gages

De surcroît les quatre comédiens apportent une belle cohésion à leurs rôles : Ben est simultanément interprété par Benjamin Kühn (qui joue la carte du nerveux en chemise rouge) et Bob Levasseur (qui opte d’avantage pour le cliché comique du caïd bedonnant avec son flingue en bandoulière). Quant à la figure un peu simplette de Gus, elle prend les beaux traits névrosés de Simon Larvaron et gagne en autodérision grace à Mathias Minne. Emballés dans leurs joggings et affublés de petites moustaches, ces deux larrons ne tiennent pas une minute en place. Jacassant sans cesse, ils apportent autant d’humour que de doutes à cette drôle d’histoire qui se tend et se détend au rythme d’un monte-plats. Jusqu’au coup final…

Florence Gopikian Yérémian –.florence.yeremian@symanews.fr

le monte plats- pinter-syma-gopikianLe Monte-Plats

D’après « The Dumb Waiter » d’Harold Pinter
Mise en scène : Étienne Launay assisté de Pierre-Louis Laugérias
Avec la Compagnie de la Boite aux lettres : Benjamin Kühn, Bob Levasseur, Simon Larvaron et Mathias Minne
Musique : Adrian Edeline
Lumières : Kevin Hermen
Traduction : Hitch Hooper, Anatole De Bodinat et Alexis Victor

Théâtre Le Lucernaire
53, rue Notre-Dame-des-Champs – Paris 6e
Réservation : 0145445734
www.lucernaire.fr

Jusqu’au 20 mai 2018
Du mardi au samedi à 18h30
Le dimanche à 15h

Rencontre avec l’équipe artistique le vendredi 13 avril 2018 à l’issue de la représentation

Photos : © Mayliss Ghora

Florence Gopikian Yérémian est journaliste culturelle. Rédactrice auprès de Muséart, Paris Capitale, L’Oeil ou le BSC News, elle couvre l’actualité parisienne depuis plus de vingt ans. Historienne d’Art de formation (Paris Sorbonne & Harvard University), correspondante en Suisse et à Moscou, elle a progressivement étendu ses chroniques au septième art, à la musique et au monde du théâtre. Passionnée par la scène et la vie artistique, elle possède à son actif plus de 10000 articles et interviews.