À travers son nouveau film, Terence Davies a choisi d’explorer les arcanes sentimentaux d’Emily Dickinson. Brossant un portrait assez dramatique de la poétesse américaine, il nous invite à découvrir l’univers confiné de cet auteur prolifique qui ne publia qu’une douzaine de textes de son vivant !

Emily Dickinson A Quiet PassionNée dans le Massachusetts, Emily Dickinson a grandi au sein d’une famille bourgeoise et puritaine. Entourée d’un père bienveillant, d’une mère souffreteuse, d’un frère avocat et d’une sœur aimante, elle n’a jamais voulu quitter son cocon de la Nouvelle Angleterre et s’est enfermée dans le confort illusoire de ses poèmes. Déchirée entre sa foi chrétienne et son exaltation silencieuse, cette jeune fille a mené une existence de nonne volontairement cloîtrée dans son intellect…

Afin de “redonner vie” à cette recluse, Terence Davies a misé sur la comédienne Cynthia Nixon : la bouche soumise mais l’esprit ardent, elle offre une interprétation précise – pour ne pas dire précieuse – d’Emily Dickinson qui tranche radicalement avec son rôle sulfureux dans Sex and the City : regardant le monde à travers ses yeux opalins, elle confère à sa protagoniste la délicatesse et l’amertume mutique qui lui sont propres.

À ses côtés Jennifer Ehle prête ses doux traits à Lavinia Dickinson, sœur de la poétesse. Belle, souriante et “so gentle”, elle compose un personnage plein de tact et de générosité qui contraste avec l’austérité excessive d’Emily.

Emily Dickinson A Quiet PassionFace à ces deux sœurs si convenables apparaît enfin l’actrice Catherine Bailey qui campe avec effervescence la figure de Miss Buffam : croqueuse d’hommes et de bonheurs, cette excentrique jeune fille vivifie le pastel cinématographique de Terence Davies grâce à son arrogance et son esprit trivial. De fait, à l’inverse de la timide Emily Dickinson qui se leurre dans une rébellion chimérique, cette Miss Buffam ose dire ce qu’elle pense et brise ainsi l’insupportable monotonie du film.

En effet, malgré l’intelligence des dialogues et les saillies spirituelles des protagonistes, le scénario de ce long métrage est aussi lent que désespérant. Truffé de bienséance, de fausse candeur et de soumission, il s’enlise dans le “politically correct” propre à l’ère victorienne et éclipse totalement la passion d’écrire d’Emily Dickinson.

Emily Dickinson A Quiet PassionCertes la photographie est très belle, la musique également mais exceptés une scène un peu légère autour du thé et quelques clins d’œil profanes aux sœurs Brontë, l’on a l’impression d’errer dans un sombre monastère ou rien ne se passe. Muni de sa caméra contemplative, Terence Davies n’en finit pas de longer les murs de la demeure des Dickinson en s’attardant de façon obsessionnelle sur leur tristesse mortifère : entre les deuils qui se succèdent et la vieillesse qui s’installe, il ne fait qu’étaler le mal-être de la pauvre Emily sans vraiment nous montrer que cet état neurasthénique contribue à sa créativité. En dépit du pathos et des sonnets lyriques maintes fois déclamés, le spectateur ne parvient ni à s’apitoyer sur le destin de cette artiste ni même à ressentir la fulgurante modernité de sa prose. 

Cela est vraiment dommage car cette Miss Dickinson a composé plus de 1800 textes d’une singulière beauté. A l’inverse de ce que nous laisse croire Terence Davies, les écrits de cette âme perdue ne se complaisent pas uniquement dans la crainte de la mort et de l’au-delà. Certains parlent d’amour, d’autres de nature, parfois même ils évoquent le courage… L’on regrette donc que le réalisateur n’ait retenu qu’un éloge funèbre de ces poèmes et qu’il ait réduit la figure de Miss Dickinson à celle d’une bigote mélancolique.

Si vous êtes prêts à contempler le déclin d’une vieille fille oscillant entre son athéisme et sa dévotion, allez voir ce film, sinon plongez-vous directement dans les livres de cette grande poétesse : vous y découvrirez un cri sourd vers l’éternité.

Emily Dickinson A Quiet PassionEmily Dickinson : A Quiet Passion

Un film de Terence Davies
Avec Cynthia Nixon, Jennifer Ehle, Keith Carradine, Duncan Duff, Jodhi May, Joanna Bacon
Royaume-Uni / Belgique – 2h04
Sortie nationale: le 3 mai 2017

Photos © Paname Distribution

Florence Gopikian Yérémian est journaliste culturelle. Rédactrice auprès de Muséart, Paris Capitale, L’Oeil ou le BSC News, elle couvre l’actualité parisienne depuis plus de vingt ans. Historienne d’Art de formation (Paris Sorbonne & Harvard University), correspondante en Suisse et à Moscou, elle a progressivement étendu ses chroniques au septième art, à la musique et au monde du théâtre. Passionnée par la scène et la vie artistique, elle possède à son actif plus de 10000 articles et interviews.