Ron Mueck : un univers macabre et énigmatique

La Fondation Cartier consacre sa troisième exposition au travail de Ron Mueck. Adepte de l’hyperréalisme, cet artiste australien nous propose un parcours immersif autour d’une dizaine d’œuvres mettant en avant un univers macabre et énigmatique. Entre un bébé de quatre mètres, une installation monumentale de crânes humains et d’immenses chiens aux allures de cerbères, ses sculptures dérangent les visiteurs autant qu’elles les questionnent sur la finitude et le temps qui passe.

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Florence Gopikian Yérémian : Quel est l’intérêt de cette exposition comparativement aux deux précédentes consacrées à Ron Mueck ?

Elle met en avant les dernières thématiques de l’artiste et permet de mieux comprendre son processus de création. Installé sur l’Ile de Wight depuis des années, Ron Mueck est un artiste complet qui travaille très minutieusement : qu’il s’agisse de la première ébauche en argile, de son recouvrement à la résine, des détails peints à la main, des vêtements faits sur mesure ou des cheveux qu’il va placer un par un, Ron Mueck confectionne chacune de ses œuvres de A à Z. Il est aussi sans cesse en quête de nouvelles techniques et vient justement de réaliser une première pièce en fonte pour cette exposition (Dead Weight).

Parlez-nous de l’installation « Mass » qui se déploie quasiment sur tout le rez-de-chaussée de la Fondation Cartier

Cette œuvre est constituée de cent crânes disposés au sol selon le bon vouloir de l’artiste. Chaque crâne pèse 45 kilos. Ils ont été réalisés en résine et fibre de verre puis peints en trois teintes de blanc. À la base, c’est une commande de la National Gallery of Victoria de Melbourne. Il a fallu près de deux ans à Ron Mueck pour la concevoir et, vue sa taille, plus de deux mois de trajets en bateau ont été nécessaires pour atteindre la France. Ron Mueck a ensuite minutieusement empilé ses crânes au sein de la Fondation, offrant à cette installation monumentale une nouvelle façon d’exister.

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Pourquoi s’est-il focalisé sur le thème du crâne ?

C’est un objet très symbolique en histoire de l’art : aux alentours des XVIIe et XVIIIe siècles, on le retrouvait fréquemment en peinture au sein de Vanités qui symbolisaient le temps qui passe. Aujourd’hui, le crâne est un motif décliné à l’excès que ce soit dans la mode, l’art graphique, les affiches ou la publicité. Il semble avoir perdu toute significatione et Ron Mueck voulait interroger les spectateurs dans leur rapport à cette image. Il en a fait une œuvre immersive afin de les plonger au plus près de ce questionnement. Certains peuvent avoir l’impression de parcourir un charnier ou de confronter la mort, d’autres y voit des constructions plus ludiques. Chacun a son ressenti.

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La seconde œuvre du rez-de-chaussée, « A Girl », est également déstabilisante pour un public non averti

Ron-mueck-fondation-cartier-syma-news-florence-gopikian-yeremianEffectivement. Elle représente un nouveau-né de 4,50 mètres de long ! C’est une sculpture assez perturbante :  ses distorsions, ses traces de sang et le regard de ce bébé gigantesque ne laissent pas indifférent.  Il faut préciser que Ron Mueck n’est pas dans la quête du beau, c’est un artiste hyperréaliste qui aime recréer le vrai à des échelles singulières : en modifiant la taille d’un enfant ou celle d’un animal, il s’amuse à nous déstabiliser. Il en va ainsi de “A Girl” mais aussi de son tout petit bébé accroché au mur comme un crucifix (Baby).

Qu’en est-il de ses chiens menaçants qui se sont emparés du sous-sol de la Fondation Cartier ?

Le public français est le premier à découvrir « En Garde ! ». Avec cette œuvre représentant trois immenses chiens, Ron Mueck s’attaque à une nouvelle iconographie : excepté « Chicken », il n’avait jamais conçu d’animaux. La technique est aussi originale pour lui : sa sculpture de 3 mètres de haut a été faite en mousse très compacte à l’aide d’une imprimante 3D. Les chiens qu’il a conçus n’appartiennent pas à une race précise, ils sont énigmatiques et font émerger autant de peurs que de remises en question.

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Il en va de même de « Man in a boat », cette création est pleine de mystères

En effet. Ron Mueck a placé un homme assis à la proue d’une longue barque. L’homme est nu et son regard scrute l’horizon avec amertume. Il semble perdu et nous donne l’impression de dériver sur les flots mais aussi dans un univers mental que nous ne pouvons capter. À mi-chemin entre le passeur Charon ou un naufragé, ce personnage dégage une solitude infinie et fait une fois de plus appel à l’imaginaire du public.

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Florence Gopikian Yérémian – florence.yeremian@symanews.fr

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Ron-mueck-fondation-cartier-syma-news-florence-gopikian-yeremianRon Mueck

Fondation Cartier pour l’Art Contemporain

261 boulevard Raspail – Paris XIVe

Jusqu’au 5 novembre 2023
Tous les jours de 11h à 20h, sauf le lundi.
Nocturne le mardi, jusqu’à 22h

Photos © Florence Gopikian

 

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Florence Gopikian Yérémian est journaliste culturelle. Rédactrice auprès de Muséart, Paris Capitale, L’Oeil ou le BSC News, elle couvre l’actualité parisienne depuis plus de vingt ans. Historienne d’Art de formation (Paris Sorbonne & Harvard University), correspondante en Suisse et à Moscou, elle a progressivement étendu ses chroniques au septième art, à la musique et au monde du théâtre. Passionnée par la scène et la vie artistique, elle possède à son actif plus de 10000 articles et interviews.