La maison : un éloge biaisé de la prostitution 

Emma est une jeune écrivaine française installée à Berlin avec sa sœur. Pour son troisième roman, elle se penche sur le monde obscur de la prostitution et entre dans une maison close. Dépassant le simple stade de l’observatrice, elle passe à l’acte et se transforme en « Justine »…

La-Maison-ana-girardot-syma-yeremian-gopikian-film-cinema-movie-prostitution-bonnefont-berlin
La comédienne Ana Girardot interprète avec une sensualité froide le rôle d’Emma.

Prostitution volontaire ?

La Maison est le premier long-métrage d’Anissa Bonnefont qui s’est déjà distinguée au Festival de Cannes avec « Wonder Boy – Olivier Rousteing » (Prix du meilleur documentaire 2020).

Inspiré du livre d’Emma Becker (La Maison – Editions Flammarion), ce film interdit au moins de seize ans porte un regard intime et intrusif sur les travailleuses du sexe. Prenant place à Berlin au sein d’un bordel, il met en scène le personnage d’Emma interprétée par la séduisante Ana Girardot. Au fil du récit, cette jeune française en quête d’inspiration littéraire va prendre progressivement goût à la prostitution et réaliser que sa soi-disante enquête dans les lupanars n’est, en fait, qu’un prétexte à son réel attrait pour les aventures sexuelles.

La-Maison-ana-girardot-syma-yeremian-gopikian-film-cinema-movie-prostitution-bonnefont-berlin

Ana Girardot en « héroïne sadienne »

Prenant la peau d’une héroïne quasi sadienne, la jeune comédienne envoie valser toute pudeur et offre son corps à l’écran avec autant de flegme que de sensualité. Sa partition n’est pas facile car par-delà la mise à nue de sa protagoniste, le caractère d’Emma/Justine est complexe : oscillant entre l’audace, la mythomanie, l’autodestruction et la lubricité, il implique des phases de contrôle, de lâcher prise ainsi qu’une desinhibition exemplaire.

La-Maison-ana-girardot-syma-yeremian-gopikian-film-cinema-movie-prostitution-bonnefont-berlin

Une mise en scène insipide

Malgré un sujet sulfureux et un beau casting, le film d’Anissa Bonnefont demeure confus, insipide et, hélas, sans parti pris. Afin d’introduire les spectateurs dans « sa maison », la réalisatrice fait étalage de scènes crues et de chairs impudiques au sein d’alcôves sombres et volontairement kitch. Parmi les néons glauques, les gémissements forcés et la musique oppressante du talentueux Jack Bartmann, on a l’impression de voir se succéder des clichés vieux comme le monde sur la vie au bordel : entre la French Girl sexy, la perversion allemande et le désespoir des maris en manque d’amour qui viennent brièvement se consoler chez les putes, on cherche en vain un semblant d’originalité ou de mise à jour.

L’ensemble du scénario fonctionne, certes, mais il stagne et s’éternise car tout est prévisible. Quelques prises camera près des corps sont interessantes mais la plupart restent inégales car elles vacillent entre une recherche d’esthétisme et un besoin gratuit de provocation.

La-Maison-ana-girardot-syma-yeremian-gopikian-film-cinema-movie-prostitution-bonnefont-berlin

Joli casting

Du point de vue des actrices, Ana Girardot dégage une impressionnante assurance et elle fait de son mieux pour donner du sens à son personnage. Enchaînant les clients, les passes et le reste, elle tente de s’impliquer dans toutes les situations mais cette excellente comédienne ne parvient pas à relever l’intérêt du film.

Il en va de même pour la troublante Aure Atika qui fait partie de cette sympathique troupe de filles de joie : aussi impliquée soit-elle, la comédienne n’est absolument pas plausible en dominatrice SM. Heureusement, parmi ces belles-de-nuit, l’irremplaçable Rossy de Palma apporte un peu d’humour et d’humanité sinon on se lasserait très vite.

Notons aussi la présence bénéfique de Lucas Englander (Les Apparences) qui joue les amoureux transis : prêtant son doux charisme et sa délicatesse autrichienne au personnage de Ian, il apporte un pendant léger et positif à cet univers de perdition.

La-Maison-ana-girardot-syma-yeremian-gopikian-film-cinema-movie-prostitution-bonnefont-berlin

Quelle est la démarche d’Anissa Bonnefont ?

Par-delà ces critiques, ce qui nous déçoit le plus dans cette adaptation cinématographique de La Maison est le manque d’analyse du monde de la prostitution et l’absence réelle de parti pris. Le film se présente comme un constat voilé qui ne veut ni vraiment juger cette profession ni donner de piste quant aux choix d’Emma.

Si la protagoniste aime le sexe et qu’elle est personnellement attirée par le fait de donner du plaisir et d’en recevoir : grand bien lui fasse ! Mais pourquoi se prostituer étant donné que l’argent ne semble pas être son besoin premier ? Est-ce un alibi pour ne pas s’avouer qu’elle est une « sex-addict » ? Est-ce un fantasme ? Une perversion ? On ne comprend absolument pas sa démarche. En tant que spectateur, on aimerait avoir un regard plus introspectif et une analyse expliquant la cause profonde de besoins aussi singuliers.

La-Maison-ana-girardot-syma-yeremian-gopikian-film-cinema-movie-prostitution-bonnefont-berlin

Si inversement, Emma, choisi de faire ce métier pour gagner sa vie, alors pourquoi semble-t-elle en faire l’éloge ? Qu’y-a-t-il de si fascinant au « commerce du sexe » lorsque l’on en est l’objet ? Cette jeune femme est-elle si naïve ou complètement aveugle pour ne pas en percevoir plus rapidement les déviations possibles et les dangers ?

La-Maison-ana-girardot-syma-yeremian-gopikian-film-cinema-rossy-di-palmaÀ ce propos, la réalisatrice Anissa Bonnefont passe trop rapidement sur les revers salaces de ce métier : concernant la prise de drogue, les coups, les maladies, les pédophiles ou les violeurs potentiels, elle demeure vraiment très évasive. Pourquoi ne pas montrer jusqu’au bout la réalité d’un bordel ? Pourquoi mettre en avant la quête de plaisir et édulcorer tout le reste ? Cette approche est étrange et manque de maturité surtout lorsque l’on sait que le livre d’Emma Becker a reçu le prix du roman des étudiants France Culture-Télérama et que le film ne manquera pas d’éveiller leur curiosité !

Pour être parfaitement honnête envers les jeunes spectateurs, il serait donc intéressant de montrer les revers de la prostitution et de se demander combien de femmes s’épanouissent réellement dans sa pratique… Le personnage d’Emma, qui semble faire l’apologie de cette profession et s’y complaire, ne doit ni être généralisé ni être porté en exemple comme c’est ici le cas.

Prôner une légalisation des maisons closes dans le but de protéger les employées autant que les clients, cela a du sens. Faire l’éloge de la vie au bordel en prétextant que les putes n’y sont pas dans une position de soumission mais dans une prise de pouvoir sur les hommes … il faut avoir l’esprit légèrement tordu !

La maison ? Un film qui n’a, hélas, ni queue ni tête !

Florence Gopikian Yérémian –  florence.yeremian@symanews.fr

La-maison-film-ana-girardot-cinema-bonnefont-syma-news-gopikian-yeremianLa Maison

Un film d’Anissa Bonnefont

Avec Ana Girardot, Aure Atika, Rossy De Palma, Lucas Englander

Au cinéma le 16 novembre 2022

Interdit au moins de 16 ans

.

.

Florence Gopikian Yérémian est journaliste culturelle. Rédactrice auprès de Muséart, Paris Capitale, L’Oeil ou le BSC News, elle couvre l’actualité parisienne depuis plus de vingt ans. Historienne d’Art de formation (Paris Sorbonne & Harvard University), correspondante en Suisse et à Moscou, elle a progressivement étendu ses chroniques au septième art, à la musique et au monde du théâtre. Passionnée par la scène et la vie artistique, elle possède à son actif plus de 10000 articles et interviews.