Bijoux de charbon ?
Lorène et son époux Hirohiko Kamiya sont designers et architectes d’intérieurs. Il y a une vingtaine d’années, ils ont redécouvert une technique ancestrale de carbonisation du bois et se sont lancés dans la création d’objets décoratifs et de bijoux à base de charbon. Le résultat est assez incroyable !

Florence Gopikian Yérémian : Vous créez des pièces décoratives à base de charbon, c’est plutôt inhabituel comme matériau ?
Lorène et Hirohiko Kamiya : Tout à fait, mais cette matière insolite a de très belles qualités. Elle est dense, profonde et elle possède une grande esthétique.
Quelle est la technique que vous utilisez pour que le charbon ne s’effrite pas ?
C’est un procédé ancestral qui se nomme le Binchotan. Il se base sur la carbonisation d’un bois de chêne vert (L’Ubamegashi) provenant de la région montagneuse de Kishu dans le sud d’Osaka. Cet arbre est très dur et fibreux. La cuisson dure en moyenne deux semaines durant lesquelles les branches sont placées à l’intérieur d’un four en terre quasiment sans oxygène. Lorsqu’on atteint un pic de température de 1300 degrés en fin de cuisson, il y a un choc thermique qui se produit car on ne laisse pas refroidir les pièces carbonisées : à ce moment-là, on « casse » le four et on retire les morceaux de bois devenus rouges comme de la cire pour les recouvrir de terre et de cendres.

Comment avez-vous découvert ce processus ?
C’est une technique japonaise qui remonte au XVIIe siècle. À la base, ce type de charbon n’était pas du tout destiné à la fabrication d’objets. Le Binchotan servait à rendre le charbon de combustion plus performant. D’un point de vue qualitatif, c’est le meilleur des combustibles car lorsqu’on le brule il devient comme une sorte de pierre rouge incandescente qui dure extrêmement longtemps et ne dégage pas de fumée. A l’époque, il était conçu pour la famille impériale mais on le trouve encore aujourd’hui au sein des restaurants de luxe qui l’utilisent pour cuire certains mets : grâce à sa densité, le charbon Binchotan n’entraine aucune variation de température et permet d’obtenir une cuisson très délicate.

Parlez-nous des charbonniers de Kishu, qui sont-ils ?
Nous travaillons avec eux depuis des années. Au départ, nous avons eu du mal à les rencontrer car ces charbonniers vivent dans la foret de Kishu où ils sont aussi considérés comme gardes-forestiers. Depuis des siècles, ces artisans produisent le charbon Binchotan dans le respect de la nature : on ne coupe pas les arbres dans leur région sauf pour régénérer la végétation car c’est une réserve protégée. Auparavant, ces charbonniers étaient des nomades mais aujourd’hui ils vivent à même la foret. Ils font tout de A à Z : de la coupe du bois à sa cuisson finale. Chaque charbonnier construit son four à hauteur d’homme car il doit pouvoir rentrer dedans pour y entreposer suffisamment de branches. C’est tout un savoir-faire car la préparation du four n’admet aucune erreur et prend énormément de temps.


Nous recevons les fagots des charbonniers et sélectionnons les branches qui vont nous servir de matière. Elles n’ont besoin ni de vernis ni de traitement. À l’inverse des autres charbons, si vous les frottez sur une feuille, aucune trace n’apparait. L’ensemble de nos créations sont faites dans notre atelier parisien.
Selon les commandes ou les saisons, les oeuvres sont laissées brutes ou polies. Pour certaines collections, nous les associons à du laiton ou de l’argent teinté. Nous utilisons aussi de la feuille de cuivre, de Palladium ou même de la feuille d’or : ces alliances subtiles permettent de souligner la trame végétale du charbon et d’en révéler toute la beauté.
Charcoal Eskimeït



