Rocio Molina : une figure profane et sacrée du Flamenco

Rocio Molina est enfin de retour à Chaillot ! Du 18 au 26 novembre, la chorégraphe andalouse se livre corps et âme dans deux tableaux déstructurés du Flamenco accompagnée de guitaristes virtuoses. Un spectacle unique, épuré, transcendant.

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À chacun de ses passages au Théâtre de Chaillot, Rocio Molina fait se soulever la poussière de la scène autant que celle de la tradition. À mi-chemin entre danse et combat, ses créations transgressent le Flamenco classique pour lui faire retrouver une dimension presque tribale, proche de la pureté initiale de cet art.

Inicio : un “corps à cordes” sublime

Dans son premier tableau Inicio (Uno), la bailaora fait face au guitariste virtuose Rafael Riqueni. À travers un dialogue entre corps et cordes ponctué de rasgueados mais aussi de silences, Rocio nous plonge dans un univers qui semble déconstruire le flamenco. Dépouillée de tout artifices, elle retourne à l’essence de cette danse et nous propose une chorégraphie désarticulée alternant des postures ornithomorphes et des attitudes proches du mime.

Vêtue d’une simple robe blanche et vaporeuse, elle taquine son musicien, le défie avec fierté, l’aguiche du bout de son éventail, l’éclabousse en s’ébrouant comme un oiseau et s’emporte contre lui en claquant du talon. Face à cette sublime furie qui se contorsionne avec autant de grâce que d’étrangeté, Rafael Riqueni joue alternativement les mâles dominant ou dominés. Parfaitement en symbiose avec sa partenaire, il lui tisse des mélodies sur mesure, l’encense du bout des doigts, la toise langoureusement du regard et lui répond avec des accords percutants. C’est beau, poétique, conflictuel et même parfois douloureux.

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Al Fondo Riela : une dualité entre ombre et lumière

Pour cette seconde partie, Rocio Molina poursuit son investigation accompagnée de deux autres maîtres de la guitare : le jeune Yerai Cortés et le talentueux Eduardo Trassierra, déjà présent sur ses précédents spectacles.

Dans une tunique de tulle blanc qui laisse deviner ses formes athlétiques, la bailaora suit le tempo de ses musiciens et continue sa narration conceptuelle autour de la danse. Tour à tour amoureuse, reptilienne, voire barbare, la belle Rocio transcende toutes les règles et va jusqu’à arracher les velcros du sol de Chaillot pour s’envelopper dans ce tapis scénique. Les pieds flexes et la gestuelle saccadé, Rocio lutte contre la gravité, casse les lignes, repousse les codes et octroie au Flamenco un langage insolite qui frôle l’archaïsme.

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Enchaînant les surprises, la danseuse apparaît ensuite tout de noir vêtue. Dans un premier mouvement qui pourrait s’apparenter à un éloge de la lenteur, elle créée dans l’espace une « danse calligraphiée » jouant sur des tracés imaginaires et des signes.

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Se coiffant d’un chapeau, elle nous offre aussi une “chorégraphie équestre” où l’on a l’impression de la voir se cabrer et d’entendre marteler ses puissants sabots. Jouant à la fois le rôle de la monture et celui du cavalier, Rocio tourbillonne et se déhanche voluptueusement puis, contre toute attente, elle enfile une combinaison rouge de la tête aux pieds et nous livre un final aussi tragique que sanguin.

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Décidément, il y a toujours une part d’ombre qui affronte la lumière dans les créations de Doña Molina, une symbiose d’éléments inattendus qui tiennent à la fois du profane et du sacré et confèrent à ses spectacles une esthétique qui transcende le beau.

Que dire de plus ? Même les traditionalistes ne peuvent que saluer une telle maitrise de la danse. On attend impatiemment le dernier chapitre de cette Trilogie pour guitares !  

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Rocio-molina-danse-flamencoRocio Molina : Trilogie pour guitares

Inicio (Uno) – Al fondo Riela (Lo Oreo del Uno)

Musique originale : Rafael Riqueni, Eduardo Trassiera y Yerai Cortés

Du 18 au 26 novembre 2021

Théâtre de Chaillot
1, place du Trocadéro – Paris XVIe
Réservations : 0153653100

Rocio Molina sera également présente à Antibes durant le Festival de Danse de Cannes : le 30 novembre 2021 (Anthéa – Salle Jacques Audiberti)

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Développement conceptuel : Nerea Galán
Direction artistique : Julia Valencia
Scénographie: A. Serrano, J. Valencia, R. Molina
Lumières: Antonio Serrano
Son: Javier Álvarez
Costumes : J. Valencia, López de Santos, Gallardo Dance
Régie: María Agar Martínez

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Photos : ©Oscar Romero & ©Lozano Pilar & ©Simone Fratini

Florence Gopikian Yérémian est journaliste culturelle. Rédactrice auprès de Muséart, Paris Capitale, L’Oeil ou le BSC News, elle couvre l’actualité parisienne depuis plus de vingt ans. Historienne d’Art de formation (Paris Sorbonne & Harvard University), correspondante en Suisse et à Moscou, elle a progressivement étendu ses chroniques au septième art, à la musique et au monde du théâtre. Passionnée par la scène et la vie artistique, elle possède à son actif plus de 10000 articles et interviews.