Les Olympiades : portrait sans fard du langage amoureux contemporain

Après la cité Gagarine, c’est au tour du complexe urbain des Olympiades de donner son nom à un film. Signé Jacques Audiard (Les Frères Sisters, Un Prophète, Deephan) ce long métrage présenté au Festival de Cannes se déroule dans le 13e arrondissement de Paris à deux pas du quartier chinois.
Au cœur de ces tours mélancoliques qui frôlent les nuages, le cinéaste septuagénaire a brodé un portrait sans fard de la génération contemporaine et de son langage amoureux : cam-girls, Pornhub, Tinder, polyamour… Entre la multiplication des applis de rencontres et celle des sites pornographiques, la sexualité est aujourd’hui devenue un simple objet de consommation où l’on swipe, on tague, on baise et on passe au suivant.
Le constat est triste mais bien réel. Voilà pourquoi, il mérite une réflexion en profondeur et celle d’Audiard est la bienvenue.

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Une génération de désabusés ?

Afin de nous laisser explorer ces bacchanales contemporaines, Jacques Audiard a opté pour un quatuor de talentueux comédiens.

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Lucie Zhang, une comédienne en devenir qui possède beaucoup de caractère

Parmi ces âmes en peine, il y a Émilie, une jeune Franco-chinoise qui malgré son parcours à Sciences Po préfère perdre son temps dans de petits boulots et des aventures sans lendemain. C’est à Lucie Zhang que revient le rôle de cette extravagante provocatrice qui n’arrête pas de bitcher pour combler sa solitude. Pleinement investie dans ce profil complexe aux multiples scènes dénudées, la comédienne fait preuve d’une rare assurance tout au long du film et d’un étonnant lâcher-prise.

Face à elle, Makita Samba interprète avec une belle légèreté le personnage à la fois espiègle et intello de Camille. Épris de liberté et de plaisirs égoïstes, ce prof de lettres semble ne plus avoir aucune illusion sur l’amour, le travail ou l’éducation.

Tout aussi désabusée, Nora est un agent immobilier fraîchement débarquée dans la capitale qui souhaite reprendre ses études. Incarnée avec beaucoup de grâce et de fragilité par Noémie Merlant, cette protagoniste n’a aucune confiance en elle et tente de lutter contre ses sentiments.

Afin de couronner cette trinité relativement « sainte », Audiard a introduit en contrepoint la séduisante figure d’Amber Sweet qui joue le rôle d’une cam-girl offrant ses services sur des sites pornos. Aussi belle que caractérielle, la comédienne Jehnny Beth (qui est également chanteuse et musicienne à la ville) apporte une véritable bulle de fraîcheur au scénario. À la fois douce, solaire et sûre d’elle même, elle évite l’écueil de la vulgarité et confère aux Olympiades une touche d’optimisme.

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Jehnny Beth joue les cam-girls avec autant de charme que de justesse

Aujourd’hui, on ne badine plus avec l’amour …

À travers les chassés-croisés de ces personnages, Audiard jette un constat assez mélancolique sur notre époque : à force de quémander son indépendance et sa liberté sexuelle, la jeunesse ne sait vraiment plus comment aimer. Immature, pressée de jouir et égoïste, elle balaye tout discours amoureux et remplace le désir et les jeux de séduction par une compétition et un besoin de satisfaction immédiate.

Derrière le fun apparent de cette surconsommation sexuelle se cache pourtant des désillusions successives et des solitudes immenses qu’Audiard scrute et traduit avec des images d’une très belle esthétique. Malgré l’excès de scènes de nu, le cinéaste ne tombe jamais dans le voyeurisme. Il frôle l’intime, caresse les corps de sa caméra, mais demeure dans une sphère érotico-charnelle. 

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Nora (Noémie Merlant) et Camille (Makita Samba) se laissent porter par leurs pulsions sans trop savoir où celà va les mener.

Un film d’une grande puissance visuelle

Entièrement tourné en noir et blanc (à l’exception des scènes vidéos de la cam-girl Amber Sweet), le film de Jacques Audiard nous transporte visuellement dans une parenthèse presque irréelle.
Librement inspiré par les bandes dessinées d’Adrian Tomine, le cinéaste joue sur les contrastes et confère avec brio un style ultra graphique à son long-métrage. Les contrastes de couleurs sont très marqués, la luminosité est poussée à saturation, quant aux cadrages et à la composition des images, ils mettent sans cesse en perspective le maillage linéaire de Paris et la verticalité des buildings des Olympiades qui rappellent la skyline de Manhattan.
Par-delà cette puissance visuelle, Audiard impose un rythme incessant à ses dialogues et à son récit. Il octroie ainsi à la capitale parisienne une énergie, voire une violence urbaine parfaitement soulignée par la musique de Rone.

Entre la force de la bande-son, la succession des scènes de sexe, la vitesse des images saturées et l’incessante soif de chair des personnages, ce film nous donne l’impression d’être ivre dans un train qui va trop vite, trop loin et risque à tout moment de dérailler. Il faut aller jusqu’au terminus : la station finale demeure malgré tout très optimiste... voire presque romantique !

Florence Gopikian Yérémian – florence.yeremian@symanews.fr

zhang-samba-merlant-beth-audiard-cinema-film-yeremian-syma-newsLes Olympiades

Un film de Jacques Audiard
Adaptation des bandes dessinées d’Adrian Tomine
Scénario : Jacques Audiard, Céline Sciamma et Léa Mysius

Avec Lucie Zhang, Jehnny Beth, Noémie Merlant, Makita Samba

En compétition officielle du Festival de Cannes 2021

Sortie le 3 novembre 2021

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Photos: ©Eponine Momenceau et ©Shanna Besson

Florence Gopikian Yérémian est journaliste culturelle. Rédactrice auprès de Muséart, Paris Capitale, L’Oeil ou le BSC News, elle couvre l’actualité parisienne depuis plus de vingt ans. Historienne d’Art de formation (Paris Sorbonne & Harvard University), correspondante en Suisse et à Moscou, elle a progressivement étendu ses chroniques au septième art, à la musique et au monde du théâtre. Passionnée par la scène et la vie artistique, elle possède à son actif plus de 10000 articles et interviews.