Les cités mutiques de Miguel Nuñez Rauschert

Malgré ses fonds rougeoyants et ses ciels lumineux, il y a une dimension sombre et tragique dans l’œuvre de Miguel Nuñez Rauschert.

Ville - miguel nunez rauschert - syma - florence yeremianPar-delà ses colonies de buildings défiant fièrement les cieux, règnent en effet une gravité et un silence qui assourdissent merveilleusement ses toiles. Pour le sentir, il suffit de parcourir lentement du regard les métropoles imaginaires de cet artiste uruguayen : au cœur de ces alignements de verre ou de béton, pas une âme ne se détache. Aucun homme, aucun oiseau, pas meme une fenêtre ouverte n’ose venir altérer la dictature de ces tours immenses et mutiques.

tableau - Miguel Nunez - syma - florence yeremianAfin de souligner cette invasion urbaine, Miguel déploie habituellement ses édifices dans les rayons de l’aube ou du crépuscule. Cela lui permet de mieux capter les ombres et d’accentuer la verticalité inquiétante de ses gratte-ciels. Travaillant essentiellement à l’huile, il ne se contente pas de poser ses couleurs sur des centaines de façades : il les scande minutieusement de glacis pour marquer leur élévation et donner un rythme à ses compositions.

Tout y est anguleux, rectiligne, séquencé et pourtant l’on ressent de façon ineffable qu’une luminosité bienveillante irrigue ces agglomerations moribondes. Pour ce faire, Miguel joue du couteau et vient grater délicatement les aplats de ses cieux afin de les rendre translucides et laisser passer des rayons phébusiens. Grâce à cette maîtrise des lumières et des transparences, il parvient à instiller un souffle de vie à ces cités peuplées de solitudes qui symbolisent, somme toute, les tristes reflets de nos villes contemporaines.

Miguel Nunez - Florence Yeremian - Syma News
Un peu de soleil – Huile sur toile – 2020

Rencontre avec un artiste aussi talentueux que pédagogue

Florence Gopikian Yérémian : Vous êtes né à Montevideo en 1954. C’était comment la vie en Uruguay dans les années 60 ?

Miguel Nunez rauschert - artiste - paris - syma - flo
Le peintre Miguel Nunez Rauschert nous explique avec beaucoup de pédagogie sa technique picturale

Miguel Nuñez Rauschert : C’était une époque chaotique sous le gouvernement de Pacheco. J’ai grandi dans une ambiance où l’armée a pris le pouvoir et quand la dictature s’est imposée, je suis parti vivre en Argentine. J’avais alors 19 ans.

Vous êtes peintre depuis l’enfance ?

Tout à fait, je peins depuis toujours. J’ai vraiment commencé très tôt : vers 12 ans, je traînais déjà dans un atelier de Montevideo où je pratiquais la peinture à l’huile. Mes professeurs étaient un couple argentin de Buenos Aires. Ils ont eu une influence très forte sur moi, non seulement en art mais aussi dans ma vie. Quand l’École des Beaux-Arts de Montevideo a fermé à cause de la dictature, ils m’ont conseillé de partir en Argentine. J’ai passé neuf ans dans la capitale à fréquenter les Beaux-Arts et des ateliers alternatifs, puis j’ai commencé à bien exposer.

Et là, de nouveau, une dictature s’est profilée ?

Et oui, je venais à peine d’intégrer les milieux artistiques de Buenos Aires que le général Perón a replongé le pays dans une crise politique sanguinaire. Malgré la mort de ce dernier, sa femme Isabel Perón a poursuivi cette répression; alors, face à ce climat d’insécurité totale, je suis parti en Europe grâce aux économies de mon père qui a financé mon voyage.

nunez rauschert - yeremian florence - hommes - paintingEn 1982, vous êtes donc arrivé à Paris ?

Et je n’en suis plus jamais reparti ! Il faut dire que le gouvernement mitterrandien était solidaire envers l’Amérique latine et très favorable à la culture. Jack Lang encourageait vraiment les artistes : vous imaginez, je n’ai eu qu’à présenter un dossier de mon travail au ministère de la culture et en six mois j’ai obtenu une carte de séjour en tant que plasticien ! C’est une chose inimaginable aujourd’hui !

Vous avez alors exposé dans des salons ?

Oui, dans des salons et des galeries. En fait, tout s’est précipité : j’ai multiplié mes œuvres, j’ai commencé à exposer à Paris, et puis mes toiles sont parties à Madrid, à Londres, aux États-Unis, à Beyrouth, sans oublier Buenos Aires qui m’a accueilli au centre culturel Recoleta, l’un des plus beaux lieux d’exposition de la capitale.

Vous enseignez également ?

Et comment ! J’enseigne la peinture depuis 37 ans aux ateliers du Musée des Arts Décoratifs. Cet échange quasi quotidien avec des enfants mais aussi des adultes est très enrichissant pour moi car la transmission est importante à mes yeux.

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Les stratagèmes

Le thème des villes est apparu récemment dans votre travail ?

Absolument. Pendant des années, je me suis énormément concentré sur le modèle humain tant au niveau du corps que du portrait. J’ai réalisé des centaines de toiles autour du couple, de l’amour, de la rencontre, et puis, récemment j’ai senti une lassitude, j’ai eu envie d’autre chose… La transition s’est faite un peu par hasard: en fouillant dans mes archives, j’ai trouvé une photo représentant un bateau, mon esprit est alors retourné 40 ans en arrière et il a fait ressurgir de ma mémoire un paquebot qui je prenais depuis Buenos Aires pour me rendre en vacances à Montevideo. Ce bateau à vapeur faisait la traversée de l’estuaire de nuit dans un calme absolu. J’ai gardé des souvenirs très forts de ces odyssées nocturnes et des docks où je m’installais souvent pour peindre en plein air. J’ai donc commencé à mettre en scène ce bateau de mon passé sur une seule toile et, à partir de là, j’ai travaillé sur les ports, les cargos, l’élément aquatique, les reflets… Et de fil en aiguille, je suis passé à la ville.

auschert miguel - bateau - marine - port - syma - florence - 026Qu’est-ce qui vous attire dans les paysages urbains ?

Leur exploration puis leur reinterpretation. Je travaille d’après des photos que je prends lors de mes voyages mais j’aime laisser voguer mon imagination. La photo est un simple point de départ, ensuite il y a un véritable processus de réinvention des matières, des couleurs et de la composition architecturale.

Une immense solitude émane de vos villes…

C’est vrai. J’aime mettre en avant l’aspect dramatique et un peu menaçant d’une métropole. Je perçois la ville comme un labyrinthe ponctué de buildings silencieux que je magnifie grâce à la lumière. L’accumulation de ces bâtiments me fait d’ailleurs penser à des sculptures.

Quel est votre processus créatif ?

MIGUEL NUNEZ - femme - syma - yeremianMes tableaux démarrent souvent sur une composition abstraite. Je travaille préalablement les matières en superposant des couches de couleurs et par-dessus je commence à dessiner pour faire naître une figuration. Mon dessin se fait d’emblée au pinceau, je n’utilise ni crayon, ni fusain. Tout à l’huile, du début à la fin !

Et comment apportez-vous cette lumière à vos toiles ?

J’utilise beaucoup de rouge en plaçant mes fonds car il confère énormément de vibrations à la couleur. En ce qui concerne l’apport de lumière, je frotte des zones au couteau pour laisser surgir des tonalités claires à travers la couche picturale séchée. C’est un travail de « grattage » qui vient en fin de création. J’utilise également des glacis : moitié térébenthine, moitié médium et un petit peu de couleur. Ces verts ou ces ocres très dilués apportent une véritable transparence à certaines zones de mes tableaux.

La pandémie a-t-elle été un frein à votre création ?

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Le spectateur

Pas du tout. J’ai un peu honte de le dire mais j’ai produit énormément de tableaux durant les deux premiers confinements.

D’autres expositions sont-elles prévues après cet accrochage collectif à la Galerie du Génie de la Bastille ?

Je travaille sur une série de 80 figures qui doivent être présentées dans un événement lié au design n mais pour l’instant, je ne peux en dire plus car tout est en stand-by à cause du Covid…

Florence Gopikian Yérémian

Pour en savoir d’avantage sur Miguel Nuñez Rauschert, vous pouvez visiter son site ou le contacter directement : nunez.rauschert@gmail.com

 

Miguel Nunez - Galerie genie bastille - syma - floMiguel Nuñez Rauschert

Galerie du Génie de la Bastille
126 rue de Charonne – Paris 11e
T. 0626572836

Du 2 au 14 février 2021
De 12h à 17h30 sauf le lundi

Exposition collective du groupe Orage (en compagnie du photographe Bardig, du peintre Pascal Teffo et des plasticiennes Véronique de Guitarre et Emmanuelle Favard )

 

 

Florence Gopikian Yérémian est journaliste culturelle. Rédactrice auprès de Muséart, Paris Capitale, L’Oeil ou le BSC News, elle couvre l’actualité parisienne depuis plus de vingt ans. Historienne d’Art de formation (Paris Sorbonne & Harvard University), correspondante en Suisse et à Moscou, elle a progressivement étendu ses chroniques au septième art, à la musique et au monde du théâtre. Passionnée par la scène et la vie artistique, elle possède à son actif plus de 10000 articles et interviews.