Dzvinka Matiyash est ukrainienne. Son ouvrage « Histoires sur les Roses, la Pluie et le Sel » vient d’être traduit aux Editions Bleu & Jaune. Rencontre avec une écrivaine pieuse et contemplative qui prend le temps de vivre et croit encore aux miracles.

Dzvinka Matiyash - histoires sur les roses - ukrainien - kiev - syma news - florence yeremian - livre - editions bleu et jauneFlorence Gopikian Yérémian : Lorsqu’on lit vos « Histoires sur les Roses, la Pluie et le Sel », on est transporté hors du temps dans un village où les gens savent encore apprécier la beauté des petites choses sans se presser. Êtes-vous née dans ce genre d’endroit ?

Dzvinka Matiyash : Je suis née à Kiev à proximité de la capitale, dans une maison avec un petit jardin donnant sur une rue très calme. Pas loin de chez moi se déploie la forêt et l’odeur des pins mais il me suffit de prendre le bus pour me retrouver au cœur de la ville entourée de gens et de tramways. J’aime ce contraste qui me permet de choisir entre le silence de la nature et le grondement urbain. J’ai opté néanmoins pour un rythme de vie calme et loin de tout stress. Cette approche de l’existence est simple à trouver si on la souhaite vraiment. Ce n’est pas une question de sagesse, il faut juste savoir faire des choix : je passe beaucoup de temps dans l’espace sacré des églises et des cathédrales pour y sentir un calme intérieur. Je me promène aussi souvent en forêt ou dans des parcs. Lorsque je sors en ville, je me pose dans un lieu tranquille et je prends vraiment le temps de boire mon café : lorsque je bois lentement, j’ai l’impression de boire le silence. Ce sont des expériences que l’on peut faire n’importe où, même à Paris. Il suffit de ne pas se hâter, d’apprécier l’instant, d’apprécier une odeur, un arôme… Sachez néanmoins que la source de tout silence et de toute quiétude est à l’intérieur de nous, celà ne vient pas de l’extérieur.

Où puisez-vous votre inspiration ? Dans votre imaginaire ?  Vos souvenirs d’enfance ?

Mon inspiration est multiple. La plupart du temps, j’invente des personnages puis je rencontre des gens comme eux dans la réalité. L’une de mes protagonistes qui revient régulièrement dans mes textes est Martha, une jeune fille qui rêve de devenir artiste. J’ai tellement aimé cette héroïne que je lui ai consacré un ouvrage entier où j’évoque sa famille, ses cours, et son professeur d’art qui s’inspire du peintre ukrainien Karlo Zvirynsky. Beaucoup de lectrices se sont reconnues dans le personnage de Martha et elles ont trouvé le courage d’explorer leur talent pour enfin devenir artistes. A chacun de mes livres, ce genre de merveilleuses coïncidences arrive : c’est là que se trouve ma source d’inspiration la plus puissante.

En France, nous ne connaissons pas votre parcours, comment êtes-vous devenue romancière ?

J’ai terminé ma magistrature à l’Académie de Kiev-Mohyla en théorie et histoire de la littérature. A l’époque, je ne pensais pas écrire, je faisais essentiellement des traductions poétiques en polonais et biélorusse. J’ai commencé à prendre la plume à la mort de ma mère. C’était une période extremement difficile pour moi et l’écriture a été une thérapie. Aujourd’hui, la plupart de mes livres sont aussi devenus des ouvrages thérapeutiques pour mes lecteurs.

Dzvinka Matiyash - histoires sur les roses - ukrainien - kiev - syma news - florence yeremian - livre - editions bleu et jauneVous avez donc plusieurs ouvrages à votre actif ?

Mon livre sur les Roses, la Pluie et le Sel est mon quatrième recueil. J’écris habituellement en ukrainien mais mes histoires ont été traduites en anglais, allemand, italien ou serbe. Mon premier texte – « Requiem de Novembre » – a été publié après la mort de ma mère. C’est une prose méditative, sans intrigue aucune mais qui invite le lecteur à une immersion profonde dans le monde intérieur des sentiments. Le second « Un roman sur ma patrie » est une réflexion sur mes souvenirs d’enfance et différentes histoires ukrainiennes. J’ai aussi inventé des contes pour enfants, dont « Le Jour du bonhomme de neige », « Martha de la Rue Saint Nicolas » ainsi que « Le Chemin de Saint Jacques » qui raconte le pèlerinage de mon mari à Compostelle. Mon prochain livre abordera surement le temps de Noël car j’adore la magie de cette période de l’année.

Quelle est la genèse de votre livre ? Pourquoi les roses, la pluie et le sel ?

Un jour de mai, j’étais assise dans le métro aérien de Kiev. Il pleuvait et lorsque les portes se sont ouvertes, une odeur de pluie a envahi le wagon. C’était une odeur délicieuse : un mélange de printemps, d’eau et de feuilles. J’ai alors pensé : « Pourquoi ne pas écrire des histoires sur la pluie ? ». Quelques mois plus tard, j’ai eu envie d’écrire des histoires sur les roses, par contre, pour le sel, je ne sais pas comment ni pourquoi ce thème est apparu… Je n’essaye pas de comprendre cette énigme

La famille semble très importante dans vos histoires. Pourquoi cet attachement ?

J’aime observer les gens dans différentes situations. Les relations familiales et les amitiés m’intéressent particulièrement. Dans mon livre, je creuse surtout les liens entre femme et mari, entre parents et enfants pour y trouver l’indicible.

Dzvinka MatiyashLa religion est également omniprésente au sein de vos nouvelles. Au fil des pages, on rencontre des prêtres, des moines, la Vierge Marie… On a l’impression que vous êtes une personne très pieuse.

La piété et la religion sont des concepts très interessants à mes yeux car ils regroupent non seulement des dogmes et des rituels mais aussi un immense patrimoine culturel. Ils ont donné naissance à une architecture sacrée et à tout un panel d’oeuvres picturales ou musicales. Je suis particulièrement sensible à la musique liturgique. Je suis d’ailleurs très proche de l’ensemble Organum dirigé par Marcel Perez et je vous invite à écouter le chant de Divna Ljubojevic. J’adore aussi contempler les icônes et les peintures religieuses, notamment les fresques de Giotto consacrées à Saint François d’Assise ainsi que toute la mythologie chagalienne. En littérature, j’aime « Le Jongleur de Notre-Dame » : ce mystère médiéval a inspiré l’une des nouvelles d’Anatole France et c’est lui qui est à l’origine de Frère Bègue, l’un des personnages de mon livre des Roses.

Dieu est présent dans le quotidien de tous vos protagonistes, y croyez-vous par éducation? Par tradition? Ou est-ce une conviction que vous avez acquise avec les années ?

Je perçois toute vie comme une manifestation du divin. Pour moi, tous les êtres de l’Univers sont connectés. Si vous arrivez à ressentir celà, la vie prend un tout autre sens : vous voyez Dieu en vous et vous vous réjouissez, vous voyez Dieu en vos voisins et vous vous réjouissez. Pour atteindre une telle félicité, il faut se demander plusieurs fois : « Qui suis-je ? » et ne pas chercher à trouver un nom, une profession ou un statut social. Peut-être êtes-vous le Souffle, la Beauté, le Donneur de Vie… C’est en cherchant dans ce sens  et en vous-même que vous pourrez vous rapprocher de votre partie divine et trouvez les réponses nécessaires.

Dans vos textes vous allez au-delà de la foi : vous évoquez les miracles. Est-ce-que vous y croyez ou aimez-vous simplement mélanger les rêves et la réalité ?

Les miracles existent et ils peuvent se trouver dans des choses très simples. Parfois vous savez, il suffit de rêver ou de penser à quelque chose et celà se réalise. Le mois dernier, je voulais planter de la lavande dans mon jardin et j’ai reçu dix buissons en cadeau sans les demander ! Miracle ? Coïncidence ? A chacun son interprétation mais moi j’y discerne une part de merveilleux car à mes yeux le rêve et la réalité se mêlent.

Dzvinka Matiyash - histoires sur les roses - ukrainien - kiev - syma news - florence yeremian - livre - editions bleu et jauneIl y a une amertume évidente dans votre plume : êtes-vous de nature mélancolique ?

Durant ma jeunesse, la mélancolie et l’introspection étaient très présentes car je ne savais pas comment vivre pour capter le bonheur. J’étais trop réceptive aux aléas et aux évènements extérieurs. Aujourd’hui,  je suis encore introvertie et parfois colérique mais j’ai acquis un bon sens de l’humour et je préfère profiter de la vie. Etonnement, mon existence est parsemée de miracles et je ne m’ennuie jamais car je trouve toujours quelque chose à faire : regarder les étoiles, faire des jeux de société, caresser le chat qui ronronne…

Vous avez une écriture poétique très particulière, pensez-vous que la traduction française efface certaines subtilités propre à la langue ukrainienne?

Chaque langue possède des particularités qui ne peuvent être traduites car elles sont liées à des contextes, des sentiments, des humeurs et pas seulement à des mots. Le traducteur se fait donc toujours interprète lorsqu’il passe d’une langue à l’autre y compris en ukrainien. C’est un jeu très interessant car même si quelque chose s’échappe d’une phrase, autre chose peut apparaître à la place.

Qui sont vos écrivains favoris ? Y en a t’il un qui vous a-t-il inspiré en particulier ?

Dzvinka Matiyash - auteure - ukrainneIl m’est impossible de choisir un, deux, voire trois auteurs. J’ai eu des écrivains favoris en fonction des différentes périodes de ma vie. Dès que j’ai appris à lire, je l’ai fait passionnément. Petite, j’adorais Astrid Lindgren et particulièrement son ouvrage « Les frères Coeur-de-lion ». Vers huit ans, je me suis mise à lire Walter Scott, puis Agatha Christie, Conan Doyle, Ray Bradbury. Outre la fiction, j’aimais aussi les nouvelles de Jane Austen et celles de Sagan. Lorsque j’ai commencé mes études à l’université, je me suis plongée dans la poésie, la philosophie et l’existentialisme à travers Kierkegaard, Dostoïevski, Shestov ou Foucault. J’ai savouré les livres comme certains savourent le vin : goulûment ! A présent, je prends mon temps, j’en relis même certains comme « Tonje Glimmerdal » de l’auteure norvégienne Maria Parr ou « Le cheval danseur » de Jojo Moyes ainsi que « Les femmes qui courent avec les loups » de Clarissa Estes.

Pouvez-vous nous recommander un écrivain ukrainien ?

Je vous invite à lire Oleh Lysheha. C’est un auteur contemporain qui est mort récemment. J’ai été très impressionnée par ses poèmes, surtout par « Un Cygne ». Son écriture me parle énormément car j’aime les textes philosophiques et je suis quelqu’un de contemplatif. Si vous appréciez Oleh, je vous conseille également de lire Li Bo : c’est un poète chinois qui l’a beaucoup inspiré. A travers leurs textes, vous sentirez que la littérature n’a pas de limite : elle est juste vérité.

Florence Gopikian Yérémian

 

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Histoires sur les roses, la pluie et le sel

De Dzvinka Matiyash

Les Éditions Bleu & Jaune

 

©Photos : Iryna Vorobets

 

 

Florence Gopikian Yérémian est journaliste culturelle. Rédactrice auprès de Muséart, Paris Capitale, L’Oeil ou le BSC News, elle couvre l’actualité parisienne depuis plus de vingt ans. Historienne d’Art de formation (Paris Sorbonne & Harvard University), correspondante en Suisse et à Moscou, elle a progressivement étendu ses chroniques au septième art, à la musique et au monde du théâtre. Passionnée par la scène et la vie artistique, elle possède à son actif plus de 10000 articles et interviews.