La Légion “s’expeause” à Moderne Art Fair
Si vous arpentez les allées de Moderne Art Fair, ne soyez pas étonnés de vous retrouver face à des légionnaires : à travers une vingtaine de portraits, Victor Ferreira a choisi de mettre en images les tatouages de ses frères d’armes. Ex-légionnaire devenu reporter photographe, il a voulu livrer via son objectif une iconographie peu connue du grand public : entre une grenade à sept flammes, une devise patriotique et un diable rieur, Victor Ferreira s’immisce sans artifice dans l’intimité de ces soldats d’élite. Avec autant de respect que de pudeur, il révèle les pans d’histoires tatouées de ses compagnons et porte une réflexion attentive sur la question d’appartenance.

Florence Gopikian Yérémian : il est peu commun de voir des photos de la Légion étrangère exposées parmi les toiles et les dessins d’une foire d’art contemporain ! Qu’est-ce qui vous a mené à Moderne Art Fair ?
Victor Ferreira, ancien Adjudant-chef à la Légion étrangère : cette rencontre assez décalée entre mes photos de légionnaires et Moderne Art Fair est née grâce à Vincent Courcelle-Labrousse, passionné d’histoire et petit-fils d’un officier de Légion. Son regard éclairé est à la genèse de cette exposition.
Avant de passer derrière l’objectif, vous avez fait partie de la Légion étrangère durant 25 ans. Comment s’est fait cette reconversion vers à la photo ?
Je suis né au Portugal que j’ai quitté à l’âge de 20 ans pour m’engager dans la Légion étrangère où je suis resté jusqu’en 2007. Devenu adjudant-chef, j’ai dû tourner une page et partir à la retraite. Une reconversion n’est jamais simple pour un militaire mais tout est question de projets : mon attrait pour la photographie m’a porté et j’ai commencé à réfléchir à mon parcours, au regard personnel que je posais depuis toujours sur mes frères d’armes et aux reportages photographiques que j’avais réalisés lors de missions aux quatre coins du monde. Lorsque vous arrivez à la Légion étrangère, c’est un univers immense et inattendu qui s’offre à vous : chaque jour vous apporte des expériences nouvelles. Dans ce monde en perpétuel mouvement, j’ai souhaité livrer un témoignage correspondant précisément à la période que j’avais vécue : il y a eu un avant la Légion, il y aura certainement un après et c’est tant mieux.
Pourquoi avoir choisi de mettre en exergue les tatouages de la Légion ?
Dans les années 80, j’étais un tout jeune légionnaire et je me trouvais à Djibouti. L’un de mes chefs de groupe portait un tatouage accompagné d’une phrase : « Comme toi j’ai souffert ». A l’époque, j’étais assez cavalier et je m’en fichais un peu mais cette phrase m’a marqué. Les années ont passé et j’ai sillonné le Tchad, la Bosnie, Sarajevo… et un jour en Guyane, je me suis retrouvé face à un autre de mes camarades qui portait exactement le même tatouage avec les mêmes mots. Cette coïncidence m’a interpellé, j’ai commencé à reprendre mes anciennes photos et à réaliser qu’il y a avait beaucoup de sens cachés et de similitudes dans les tatouages de mes camarades.
Qu’est-ce qui caractérisent justement les tatouages des légionnaires ?
Ce sont des tatouages d’appartenance. Qu’ils soient beaux ou pas importe peu car ce n’est pas l’esthétisme qui prévaut. L’important est de comprendre pourquoi à un moment donné de sa vie, un homme décide de marquer sur son propre corps qu’il appartient à la Légion étrangère. Cette « mise à nu » est chargée de sens car elle souligne le besoin de montrer son appartenance à des valeurs, à une fraternité ou à un régiment en le gravant en profondeur. A travers mes clichés, je m’interroge sur les éléments déclencheurs de cet acte, sur le choix des images et sur leur signification. Qu’il s’agisse de missions vécues, de souvenirs, de souffrances ou de prières, chaque tatouage raconte une histoire intime et singulière portée à même la peau comme un uniforme. Ce n’est pas décoratif, c’est un signe de mémoire et d’identité.
Quels sont les symboles et les motifs iconographiques que l’on retrouve de façon récurrente sur les tatouages des légionnaires ?
Le symbole le plus courant est la grenade à sept flammes qui représente l’emblème officiel de la Légion étrangère. Il y a aussi le képi blanc, l’aigle de la liberté, la devise Legio Patria Nostra qui revient fréquemment ainsi que des chiffres régimentaires ou des noms d’opex. Parmi les photos exposées à Moderne Art Fair, vous pouvez également voir deux torses de légionnaires du même régiment qui se font échos : le premier porte comme tatouage un diable rieur avec un béret vert faisant référence à un chant militaire, quant au second, il s’est justement fait graver sur le corps le rire de ce même diable !
Pour certains soldats, vous parlez également de tatouages thérapeutiques
Absolument. Parfois, lorsqu’un combattant est blessé, que ce soit à l’âme ou physiquement, le tatouage devient un acte salvateur. Je connais par exemple un légionnaire qui a été touché au flanc suite à un violent impact. Il a souhaité se faire tatouer une aile de dragon au niveau de sa plaie afin que cette dernière dissimule et absorbe les brulures de sa peau. En faisant cela, il a transformé sa blessure en une œuvre d’art cathartique.
Vos frères d’armes ont-ils accepté facilement d’être pris en photo ? Habituellement, la discrétion, voire l’anonymat, sont monnaie courante au sein de la Légion.
Je pense que leurs regards ainsi que leurs postures parlent pour eux. Même si certains tournent le dos à l’appareil, leurs pensées demeurent présentes.
Certains légionnaires retirent-ils leurs tatouages ?
Cela peut arriver. Certains considèrent parfois que leur tatouage appartient à une époque révolue… De mon point de vue, le tatouage demeure même si on le retire, surtout lorsque l’on connait très bien la personne : j’avais un ami qui s’était fait tatouer des hirondelles sur le cou. Lorsqu’il les a effacées, à mes yeux, elles étaient toujours là …
Quels sont vos projets ?
En 2014, ma première exposition au Musée de la Légion étrangère d’Aubagne a donné lieu à un livre nommé « La Légion dans la peau » (publié aux éditions La compagnie littéraire). Un nouvel ouvrage est en projet qui mettra en avant l’évolution de ces jeunes légionnaires jusqu’à aujourd’hui : que sont-devenus ces soldats au fil des dix dernières années ? Leurs tatouages ont-ils gardé le même sens ?
L’ensemble des fonds acquis lors de la vente de vos photos à Moderne Art Fair doit être versé à Solidarité Légionnaire
Oui. La solidarité est quelque chose de très important dans la Légion étrangère. La totalité des profits est destinée à la réalisation d’une infirmerie à l’Institut des Invalides de la Légion étrangère à Puyloubier, près d’Aubagne. Cet engagement solidaire se veut une preuve d’amour et de fidélité envers la Légion et mes camarades.






