Cette année, la foire d’art contemporain ART PARIS célébrait l’Afrique dans toute sa diversité. Parmi les 140 galeries réunies sous la verrière du Grand Palais se distinguaient des toiles de Bernard Buffet, des panneaux d’Hans Hartung et des peintures de Combas mais c’est essentiellement pour découvrir les artistes émergeants du continent africain que les visiteurs se pressaient.

Moke
Moke

Venus du Niger, du Mozambique, d’Angola, d’Ouganda, du Maghreb et d’ailleurs, ces plasticiens avant-gardistes proposaient aux quatre coins du salon des créations de toutes sortes: qu’il s’agisse de photos-montages, de statues totémiques, de vidéos expérimentales ou tout simplement de toiles traditionnelles, l’éclectisme était au rendez-vous pour faire comprendre au public que l’art africain ne se résume plus aujourd’hui à un artisanat exotique fait de boubous et de calebasses décoratives.

Chéri Samba
Chéri Samba

Aux côtés des bronzes d’Ousmane Sow (disparu, hélas, l’an dernier), des peintures congolaises de Moke, des huiles engagées de Shula et des acryliques toujours aussi chatoyantes de Chéri Samba, l’on pouvait voir des œuvres appartenant à de nouveaux courants. Il en va ainsi des grands panneaux multicolores de J.P Mika et de Steve Bandoma : jeunes figures en devenir de l’école de Kinshasa, ces deux précurseurs se sont déjà fait remarquer en 2016 lors de l’exposition Beauté Congo à la Fondation Cartier.

Shula
Shula
Mika
Mika

Mika a un style très particulier : utilisant des tissus à motifs comme canevas, il y appose des personnages folkloriques ou des Sapeurs ultra-trendy qui donnent une impressionnante dynamique à ses compositions. La même énergie se retrouve dans les toiles de Steve Bandoma avec une approche graphique totalement opposée : orchestrant des projections de couleurs ou des corps fragmentés, cet artiste engagé parvient à créer un univers aux figures clownesques qui dénonce les ravages de la guerre mais aussi les méfaits des réseaux sociaux.

Autre figure, autre pays, l’art de Dominique Zinkpé nous offre une rencontre avec le Bénin. Directeur du Centre d’Art de Cotonou, cet autodidacte s’intéresse autant à la sculpture qu’au dessin. Un brin « chagallien » dans ses fresques ponctuées de corps flottants, on le considère aujourd’hui comme le nouveau Basquiat en raison de son trait spontané proche du graffiti et de sa recherche tortueuse de l’âme africaine.

Dominique Zinkpé
Dominique Zinkpé
Steve Bandoma
Steve Bandoma

Plus à l’ouest de la terre de Zinkpé, le sénégalais Soly Cissé nous entraîne à Dakar :  activiste dans l’âme, ce peintre reconnu possède une graphie fertile qui façonne des êtres hybrides fusionnant étrangement avec ses aplats de peinture.

Enfin une femme dans cet univers très (trop !) masculin : la sud africaine Billie Zangewa. Avec ses frises textiles très originales cette jeune artiste introduit une dimension palpable au visuel. Par le biais de ses tapisseries de soie qui évoquent des scènes familiales et quotidiennes, Billie Zangewa crée un très beau patchwork pictural où l’image est à la fois déconstruite par la dispersion contrastée des tissus et reconstruite instinctivement par l’oeil du spectateur.

Soly Cissé
Soly Cissé
Billie Zangewa
Billie Zangewa

Autre muse qui nous transporte cette fois au Maghreb à travers un impressionnant polyptyque: Dalila Dalleas Bouzar. Sa sombre série « Princesse » décortique dix portraits peints sur lin d’après des photos de femmes algériennes détenues dans des camps durant la guerre coloniale. Face à ces princesses contraintes de se mettre à nu devant un objectif étranger, Dalila élève son pinceau indigné et redonne à ces prisonnières silencieuses la dignité qui leur sied.

Namsa Leuba
Namsa Leuba

Beaucoup d’autres plasticiens seraient à citer tels que le béninois Romuald Hazoumè, le ghanéen El Anatsui ou l’helvéto-guinéenne Namsa Leuba dont les tirages photographiques de la série Zulu Kids symbolisent parfaitement sa quête identitaire.

Dallila Dalléas Bouzar
Dallila Dalléas Bouzar

Ce questionnement sur l’identité africaine est d’ailleurs omniprésent chez tous les artistes de ce salon mais particulièrement chez Alexis Peskine qui demeure notre favori. Véritable citoyen du monde, Peskine est né à Paris, d’une mère afro-brésilienne et d’un père russe. Aussi pluriel dans sa création que dans son ascendance, il a aboli toute frontière mais a orienté son art vers une quête de la « black experience » et des dynamiques raciales. Fécond et ingénieux, Peskine a développé la technique de « l’acu-peinture » qui consiste à créer des figures en plantant des clous émaillés ou dorés sur des panneaux de bois peints. De ces oeuvres brutes et métalliques, émane une violence froide et sacrée pouvant faire référence à l’esclavage des colonies autant qu’aux stigmates de la crucifixion…

Alexis Peskine
Alexis Peskine

Lorsque l’on regarde l’ensemble des acteurs de cette odyssée artistique, beaucoup d’émotions se dégagent et un constat ressort : il n’y a pas qu’une scène africaine, il y en a une multitude. Mélangeant l’ironie, l’amertume et les revendications sociales, ces nouveaux pôles de création font preuve d’une énergie et d’une inventivité foisonnante. Menés par des artistes engagés et des coloristes provocateurs, ils possèdent la spontanéité fertile qui manque aujourd’hui à la vieille Europe prise en tenailles entre son académisme obsolète et ses canons occidentaux.

Moke
Moke

L’art africain est libre, multiple, puissant, parfois martial mais beau grâce à son instinct et à sa transformation perpétuelle. Délaissant sa patine rurale et folklorique, il a acquis ces dernières années une dimension urbaine pétrie de tensions réelles et témoignant de la constante mutation des pays de la Grande Afrique.

Défendu depuis des lustres par l’explorateur français André Magnin ou par l’October Gallery de Londres, il intéresse aujourd’hui de plus en plus de collectionneurs et de galeristes. En offrant un coup de projecteur à la jeune génération africaine, une foire comme Art Paris permet à l’Afrique de renforcer sa place sur la carte mondiale de l’histoire de l’art contemporain. Enfin !

La saison africaine d’Art Paris? Un coup de projecteur à la jeune création !

Art Paris Art Fair
Grand Palais
3 avenue du Général Eisenhower – Paris 8e
Du 30 mars au 2 avril 2017
www.artparis.com

En 2017, l’Afrique est aussi présente :

  • Au Musée Dapper à travers Les mutants de Soly Cissé
  • Au Musée du Quai Branly avec l’exposition L’Afrique des routes
  • À la Galerie des Galeries via une rencontre d’artistes africains issus du continent et de la diaspora
  • Et à La Villette avec le Festival 100% Afrique
Florence Gopikian Yérémian est journaliste culturelle. Rédactrice auprès de Muséart, Paris Capitale, L’Oeil ou le BSC News, elle couvre l’actualité parisienne depuis plus de vingt ans. Historienne d’Art de formation (Paris Sorbonne & Harvard University), correspondante en Suisse et à Moscou, elle a progressivement étendu ses chroniques au septième art, à la musique et au monde du théâtre. Passionnée par la scène et la vie artistique, elle possède à son actif plus de 10000 articles et interviews.